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  DR IBRAHIM PATRICK CONGO, ENSEIGNANT-CHERCHEUR ET JURISTE, A PROPOS DE LA DIFFUSION DE FAUSSES INFORMATIONS: « Toute personne victime de diffusion de fausses informations doit saisir les autorités judiciaires compétentes afin qu’elle soit rétablie dans ses droits »

La diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux est de plus en plus fréquente au Burkina Faso. La dernière en date est celle relative à l’arrêt de la transaction mobile de la société de téléphonie Orange Burkina, dont faisait cas une note d’information qui circulait sur les réseaux sociaux. Pour comprendre les risques judiciaires que pourraient encourir les auteurs de ces fausses informations, nous avons reçu, le 17 août 2023, Dr Ibrahim Patrick Congo, enseignant-chercheur et juriste en droit des technologies de l’information et de la communication à l’Université Thomas Sankara. Lisez plutôt !

« Le Pays » : Quelles sont les dispositions légales au Burkina Faso concernant la diffusion de fausses informations, notamment sur les réseaux sociaux, et quelles sont les implications pour les auteurs de telles actions ?

Dr Ibrahim Patrick Congo : Je voudrais tout d’abord saluer et remercier le journal « Le Pays » pour cette tribune qui m’a été offerte pour parler de cette question de diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux. Pour répondre à votre question, il faut tout d’abord préciser que quand on parle de fausses informations, il ne faudrait pas tout de suite tout ramener aux réseaux sociaux. Il y a des dispositions  légales  en  droit  burkinabè  relativement  à  la  diffusion  de  fausses  informations  de  façon globale. Ces dispositions sont principalement dans le Code pénal qui régit cela. C’est vrai qu’au niveau du Code pénal, les réformes dernièrement connues en 2019, il y a eu des textes qui portent principalement sur la diffusion de fausses informations relatives à la sécurité nationale. Mais le législateur, en son temps, n’a pas jugé nécessaire de penser à mettre des dispositions concernant la diffusion de fausses informations même si cela n’a pas trait à la sécurité nationale. Mais on trouve toujours dans le même code, d’autres dispositions qui concernent la diffusion de fausses informations, notamment les articles 524 et suivants qui traitent de la diffamation et de la calomnie. En ce sens, on peut dire que l’on trouve la majeure partie des dispositions dans le Code pénal. A côté de celui-ci, on peut évoquer le Code civil puisqu’à ce niveau, il y a les questions de responsabilités civiles, c’est-à-dire les articles 1382 et suivants qui traitent de tous les dommages que l’on pourrait causer à un individu, la responsabilité civile qui pourrait découler de ces dommages causés. Il y a principalement les articles 1382 et 1383 qui évoquent ces aspects, toutes les fois qu’on diffuserait de fausses informations. Donc, le Code pénal pour les aspects pénaux, notamment le cas de Orange Burkina, on ira voir du côté de la diffamation et de la calomnie, et le Code civil, pour les aspects civils. Malheureusement, jusqu’à cette date, on n’a pas de textes répressifs qui traitent de la diffusion  de  fausses  informations.  Il  faudra  donc  aller  chercher  dans  ces  deux  textes,  quel  type d’infraction on doit faire porter aux auteurs de ces fausses informations.

Pouvez-vous expliquer en détail les risques encourus par ceux qui créent et ceux qui relaient de fausses informations sur les réseaux sociaux en vertu de la loi burkinabè ?

Relativement aux risques encourus, il faut dire que ces personnes encourent deux types de risques. Je m’explique. Si la diffusion de fausses informations peut être reliée à une infraction existante dans le Code pénal telle la diffamation, ces auteurs peuvent être frappés de sanctions pénales qui vont consister en des peines de prison ou des peines d’amendes. Si en plus, ces fausses informations diffusées causent des dommages à autrui, notamment ceux qui sont l’objet de ces fausses informations, ces personnes pourront engager la responsabilité de ces auteurs-là, mais cette fois-ci la responsabilité civile afin de demander des dommages et intérêts au regard du préjudice qu’ils ont subi.

En ce qui concerne les récentes fausses informations concernant Orange Burkina, quelles pourraient être les conséquences  légales  pour  les  individus  impliqués  dans  la  création  et  la  diffusion  de  ces  fausses informations ?

Relativement à l’actualité récente tendant à imputer certains faits à Orange qui serait dans une optique d’arrêter son service de paiement mobile, les personnes qui ont diffusé ces informations, il faudrait voir le contenu de ces informations et voir si ces informations se rapprochent plus de la diffamation. A y regarder de très près, on pourra trouver des éléments diffamatoires, on pourra accessoirement même trouver un peu de calomnie parce que ces informations, telles que relayées que nous avons vues sans entrer dans le détail, juste à travers la prise de connaissance de ces informations dans les différents groupes sociaux où nous sommes, ces deux éléments et principalement la diffamation, peuvent être retenus. Comme la diffamation est une infraction prévue par le Code pénal, les auteurs de ces fausses informations peuvent être frappés de sanctions pénales qui vont être des peines de prison et des peines d’amendes. Et si ces informations sont naturellement fausses, Orange qui est une société commerciale peut voir son image écornée et pourrait perdre quelques clients ou perdre sa confiance auprès de ses clients. Cela va entraîner un préjudice et sur cette base, Orange pourrait engager, en plus de la responsabilité pénale, la responsabilité civile au regard du préjudice qu’elle aurait subi par rapport à ces fausses informations.

Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de condamnations liées à la diffusion de fausses informations au Burkina Faso, en particulier celles impliquant des cas similaires à celui d’Orange Burkina ?

Il faut dire qu’à l’état actuel, nous n’en possédons pas. Nous avons essayé de faire rapidement le tour de la jurisprudence relative à toutes ces questions, mais des cas où des sociétés commerciales et des compagnies ont fait l’objet de fausses informations, et qui ont entraîné des décisions judiciaires, nous n’en possédons pas. Mais il faut dire que véritablement, cela se justifie par l’absence de culture de contentieux. Très souvent, quand des compagnies sont victimes de telles pratiques, elles ne font que rectifier l’information. Elles passent sur les chaînes de télé, radio et de médias pour rectifier l’information sans chercher à engager une procédure judiciaire contre les auteurs de ces informations. S’il y a un parallèle que nous pouvons faire, c’est l’affaire Marcel Tankoano, relative au projet d’incendie du palais du Mogho Naaba. Et comme je vous le disais, cela a trait à des infractions spécifiques qui relèvent de la diffusion de fausses informations relatives à la sûreté et à la sécurité de la nation alors que pour ce qui concerne Orange, on ne peut pas faire un lien avec la sécurité et la sûreté nationale. Malheureusement, on n’en a pas et si je dis malheureusement, c’est à dessein. Je pense que de telles procédures judiciaires auront la vocation de sensibiliser et de dissuader toute personne qui voudrait relayer de la fausse information, sciemment ou inconsciemment.

Comment  la  législation  burkinabè  aborde-t-elle  les  défis  particuliers  liés  à  la  diffusion  de  fausses informations sur les plateformes en ligne, et quelles mesures sont prises pour protéger la réputation des entreprises et des individus victimes de telles campagnes de désinformation ?

A date, il faut dire que la législation burkinabè essaie tant bien que mal de régir toutes les infractions, que celles-ci se passent dans l’univers numérique ou celui physique. C’est vrai qu’avec les réformes du Code pénal, le nouveau Code pénal prend en compte pas mal de questions liées à ce qui se fait dans l’univers numérique. Mais malheureusement, comme je le disais, il n’a pas été prévu de dispositions pour la diffusion de fausses informations de particuliers à l’encontre d’autres particuliers. Donc, cela pourrait constituer un frein. Mais il n’en est pas véritablement ici parce que, comme je vous le disais, il y a des infractions comme la diffamation et la calomnie, qui peuvent s’appliquer ou qui peuvent être supportées par des personnes auteures de tels types d’informations. A côté, il y a le Code civil qui permet de réparer le préjudice causé. Mais à ce niveau, on pense que dans les futures réformes de nos différents textes, on intègrera véritablement la question du numérique. Parce que quoi qu’on dise, il y a des pratiques qui se font certes dans l’univers physique, mais avec la puissance des réseaux sociaux, elles ont beaucoup plus d’effets et se font de façon pernicieuse et cela est beaucoup plus préjudiciable. Il serait intéressant que pour de tels types d’infractions, il y ait des dispositions claires dans le Code pénal.

Quelles sont les précautions à prendre lorsque l’on est victime de diffusion de fausses informations ?

Je souhaiterais, bien avant de répondre, dire quelque chose par rapport à ceux qui en sont auteurs. Parce qu’on est dans un monde, de nos jours, où la plupart des informations que nous diffusons ou relayons, se font par le biais des réseaux sociaux. A ce niveau, il est plus important que nous ayons une certaine culture sur le numérique. Pour paraphraser un grand avocat, il faut avoir l’attitude de « Attendons de voir ». Lorsqu’on reçoit une information, qu’on puisse patienter et à défaut de patienter, s’il y a l’envie de partager cette information, prendre les mesures élémentaires en s’assurant de la véracité de cette information, parce qu’on pourrait se retrouver complice dans la diffusion d’une fausse information. Maintenant, pour ce qui est des victimes, si nous revenons au cas de Orange Burkina, je pense que l’approche, à l’échelle de Orange ou d’une autre société victime, peut ne pas porter. Il faut une approche plus générale, à l’échelle nationale, qui consistera d’abord en une sensibilisation. Comme on le dit en droit, on ne présume pas de la mauvaise foi, on estime que toute personne est de bonne foi. On pourrait éventuellement penser que ceux qui diffusent ces informations, les ont malheureusement reçues. Et comme elles n’ont pas pris la peine d’en vérifier les sources, elles les ont diffusées. Une meilleure sensibilisation tendant à prendre du temps afin de suivre l’actualité et vérifier l’information que nous recevons. Mais à des fins pédagogiques, il serait intéressant que toute personne victime de diffusion de fausses informations, saisisse les autorités compétentes et quand je dis autorités compétentes, je parle de la Brigade de lutte contre la cybercriminalité qui pourrait investiguer et à l’issue de cela, s’il y a lieu, entamer une procédure judiciaire. Je pense qu’une ou deux décisions tendant à condamner, auront cet effet pédagogique et à l’avenir, beaucoup s’abstiendront de diffuser des informations dont ils ne sont pas sûrs des sources. Quant à ceux qui le font de mauvaise foi, si les investigations faites par les autorités compétentes les incriminent, ils seront frappés par des sanctions de peines de prison et d’amendes. Mon propos n’est pas que tous ceux qui diffusent ces fausses informations, soient sanctionnés de décisions de justice contraignant leur liberté ou  les  condamnant  à  payer  des  amendes,  mais  l’idée  est  que  cela  ait  un  effet  sensibilisateur  et pédagogique. Parce que, sur les réseaux sociaux, on veut être le premier à diffuser une information sans prendre le temps de vérifier les sources de cette information. Au niveau de Orange Burkina, l’idée serait, à l’échelle nationale, avec les autorités ou même avec les autres compagnies, de voir comment on peut entamer une campagne de sensibilisation en partant du principe que la plupart de ceux qui les diffusent ne sont pas de mauvaise foi. Passé cette étape, il faut militer à ce que nos lois intègrent véritablement de tels types d’infractions qui sont de plus en plus courantes dans nos contrées. Au regard des réseaux sociaux et de leurs effets bénéfiques, il est aussi important que nous ayons cette culture du numérique pour mieux les utiliser afin de ne pas porter préjudice à une quelconque personne ou société.

Taré Soumaïla YARO

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