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DOSSIER NORBERT ZONGO,  22 ANS APRES : « Seul François Compaoré pourrait expliquer pourquoi il se bat pour ne pas rentrer au pays, en attendant d’y être contraint », Chrysogone Zougmoré, président CODMPP

A l’occasion du 22 e anniversaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses compagnons, Chrysogone Zougmoré, président du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques (CODMPP), dans cet  entretien accordé au site Actuburkina, revient sur l’avancement du dossier Norbert Zongo en justice, sur l’éventuelle extradition de François Compaoré et sur les perspectives concernant le drame de Sapouy. Lisez-plutôt !

Actuburkina : Comment appréciez-vous l’avancement du dossier du journaliste Norbert, 22 ans après son assassinat ?

Chrysogone Zougmoré : Plus d’une vingtaine d’années pour le traitement de ce dossier, je trouve cela excessivement long et à la limite scandaleux. Personnellement, j’ai toujours considéré l’assassinat de Norbert comme un crime d’Etat, un crime politique. Non pas que Norbert était politiquement engagé contre le régime en place, mais parce que son insistance à découvrir et à révéler les dessous de l’affaire David Ouédraogo, menaçait les fondements du pouvoir et de tout le système à l’époque. C’est pourquoi la justice, aux ordres du pouvoir à l’époque, a tout fait pour que la vérité n’éclate jamais sur ce dossier, allant même jusqu’à prononcer un non-lieu en 2006. Le dossier a été réouvert depuis, c’est vrai, mais je pense qu’il faut un peu plus de célérité dans son traitement, dans le respect toutefois des règles et des procédures en la matière.

Après la récente sortie du procureur du Faso sur le dossier, estimez-vous qu’il y ait eu une réelle avancée ?

Cette sortie du procureur sur le dossier constitue une première, qui traduit une bonne disposition d’esprit qu’il faut donc saluer à sa juste valeur. Cela dit, il a simplement rappelé des actes de procédure déjà connus, depuis la réouverture du dossier en 2015 à savoir l’inculpation des éléments de l’ex-RSP, des auditions de témoins, ainsi que la réaction des avocats de François Compaoré à la suite de la prise du décret d’extradition de ce dernier par le gouvernement français, en mars 2020. Sauf donc à considérer d’autres éléments nouveaux que le procureur n’a pas voulu révéler, du fait du sacro-saint principe du secret de l’instruction, on ne peut pas parler de réelles avancées, bien que la signature du décret d’extradition constitue une étape importante dans le traitement du dossier.

Pensez-vous que François Compaoré sera-t-il extradé un jour ?

En tout cas, c’est le souhait des familles et de tous ceux qui attendent, depuis maintenant 22 ans, que la lumière se fasse sur le dossier et que justice soit enfin rendue à Norbert et à ses compagnons d’infortune. Mais comme vous le savez, François Compaoré, par le biais de ses avocats, a formulé un ultime recours devant le Conseil d’Etat français, après la signature du décret d’extradition par le gouvernement français en mars dernier. Nous attendons donc la suite, avec l’espoir qu’il sera extradé. Du reste, jusqu’à ce que la preuve formelle de sa culpabilité soit établie, François Compaoré est présumé innocent. Quelqu’un qui n’aurait rien à se reprocher serait rentré de lui-même, pour se mettre à la disposition de la justice de son pays. Seul donc l’intéressé pourrait bien expliquer pourquoi il se bat pour ne pas rentrer au pays, en attendant d’y être contraint.

Etes-vous pour son jugement par contumace, comme d’aucuns le souhaitent ?

Ah, pas du tout. Après tant d’années d’attente et au regard du caractère odieux de ces crimes, on ne peut pas se contenter d’un procès en l’absence des présumés coupables et de toutes personnes qui pourraient apporter un éclairage sur les circonstances exactes de ces assassinats. Il faut que toutes les personnes inculpées, ainsi que tous les témoins soient physiquement présents. Pour un dossier aussi emblématique autour duquel le peuple burkinabè se bat depuis tant d’années, un jugement par contumace équivaudrait à un jugement au rabais, donc à un demi échec de la procédure.

N’avez-vous pas de craintes que la réconciliation nationale et le retour de Blaise Compaoré tant prônés par certains acteurs politiques viennent noyer le dossier Norbert Zongo ?

Vous savez, personne n’est par principe, ni à priori, contre la réconciliation. J’estime cependant que l’on ne saurait bâtir la réconciliation sur un champ d’impunité. Ce n’est pas acceptable, ni même raisonnable. Sinon, votre édifice ne tiendra même pas le temps d’une saison. Vous voyez, c’est ce qui s’est passé en 2001, avec cette fameuse journée nationale de pardon, dont on ne retient plus aujourd’hui que la simple dénomination. Que les acteurs politiques ne s’y méprennent donc pas. Nul dans ce pays ne pourra faire passer par pertes et profits, ni le dossier Norbert Zongo, ni aucun autre dossier de crime impuni, sous le prétexte d’une réconciliation nationale qui tienne. Avant toute réconciliation, il y a deux conditions essentielles et indispensables à remplir. La vérité sur l’ensemble des crimes commis puis la justice. Et mon sentiment est que, tant que ça ne se passera pas ainsi, les multiples et récurrents appels à la réconciliation, à la paix sociale et la cohésion sociale, resteront vains.

Votre mouvement est-il en contact permanent avec la famille de Norbert Zongo et de celles de ses compagnons d’infortune ? Que faites-vous concrètement ?

Il faut avant tout rendre un vibrant hommage à l’ensemble de ces quatre familles, qui sont restées dignes, déterminées et solidaires les unes des autres. Avec une mention toute particulière à la maman de Norbert, maman Augustine, paix à son âme, qui nous a quittés le 1er décembre 2017. Elle a résisté à toute forme de pressions pour l’amener à pardonner, sans justice, les commanditaires et assassins de son fils. Elle a systématiquement et catégoriquement dit non. Il est important de le souligner, car c’est cela aussi qui nous a permis de tenir bon et de ne rien lâcher, durant ces 22 années de luttes. Cela nous a énormément facilité la tâche. Depuis donc les premiers moments des assassinats de Sapouy, nous avons toujours été aux côtés et à l’écoute des quatre familles. Lorsque que je parle de nous, il ne s’agit pas seulement du MBDHP, mais du Collectif dans son ensemble, renforcé ces dernières années par la CCVC. La gestion et le suivi du dossier au plan judicaire sont  faits en concertation avec les familles, par le biais du collectif d’avocats que nous avons constitué pour ce faire. A la deuxième session d’examen du dossier devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples à Arusha, en novembre 2013, les familles y étaient physiquement représentées. C’est donc un accompagnement de tous les instants.

Depuis que le président Roch Marc est au pouvoir, le front social a toujours été en ébullition. Selon vous, les mouvements syndicaux n’en font-ils pas un peu trop ? Ne pensez-vous pas que ce sont les pauvres populations qui en payent le plus lourd tribut ?

N’étant pas responsable syndical et n’évoluant pas sur ce front, je ne saurais m’aventurer à vous donner les raisons de cette ébullition. En tout cas, à ce que je sache, les structures syndicales n’engagent et mènent jamais de luttes, pour le simple plaisir de lutter. D’observation première, il apparait que ces frondes périodiques s’expliquent et même, se justifient souvent par le peu d’attention accordée à certaines revendications légitimes des syndicats, de même que par un non-respect d’engagements pris par le gouvernement. Je n’ai pas de solutions miracles à proposer mais, il importe que chacune des parties tienne sa place et joue son rôle pour le bien-être des populations qui, comme vous le faites si bien observer, subissent les contrecoups de ces conflits sociaux.

Quel est l’état des Droits humains au Burkina Faso quand on sait qu’il y a eu beaucoup de cas de violations des droits humains dénoncés par plusieurs institutions internationales ?

Très préoccupant. Du fait notamment et surtout des attaques terroristes qui ont cours depuis particulièrement ces cinq à six dernières années, et qui font des milliers de morts et de blessés, civils et militaires, ainsi que de nombreux déplacés internes, vivant dans des conditions extrêmement difficiles. Les chiffres sur ces deux tableaux sont effarants et nous interpellent tous. Cette situation impacte également sur les droits à la santé et à l’éducation, avec ces centaines voire ces milliers d’écoles et d’infrastructures sanitaires fermées, privant ainsi des millions de personnes, surtout des enfants, du bénéfice des droits à la santé et à l’éducation. Naturellement, la situation a commandé que nous remettions en exergue le principe même du droit à la sécurité qui devrait être garantie au premier chef par l’Etat à tous ses citoyens. Les sonnettes d’alarmes tirées, notamment par Human Right Watch, Amnesty International, le HCR, le PNUD, le département d’Etat américain et bien d’autres institutions internationales, à la suite du MBDHP, ont surtout été consécutives à des cas d’exécutions sommaires et extrajudiciaires opérés par des éléments de nos Forces de défense et de sécurité. Ces différents coups de semonces avaient pour but de rappeler que la lutte contre le terrorisme ne saurait expliquer, à fortiori justifier l’utilisation de la pratique des exécutions sommaires et extrajudiciaires.

Chaque année, au mois de décembre, on constate des mouvements de scolaires perturbant les cours. Quel commentaire faites-vous ?

Le tout n’est pas de constater, mais plutôt de se poser la question de savoir pourquoi ces mouvements ont lieu chaque année à cette période-là et que faire pour y mettre un terme. Ces jeunes manifestent chaque année pour réclamer vérité et justice pour leur camarade Flavien Nébié, assassiné le 6 décembre 2000 à Boussé. Cela fait 20 ans que ça dure. Que les autorités politiques et judiciaires se décident, enfin, à faire la lumière sur ce dossier. Et il n’y aurait peut-être plus de manifestations d’élèves les années à venir. En tout cas, sur le dossier Flavien Nébié. Ce n’est peut-être pas plus compliqué que ça.

Quelles sont vos perspectives en ce qui concerne le dossier du drame de Sapouy ?

Nous avons foi, quant à l’aboutissement positif de ce dossier. Au fil des 22 années consécutives de luttes, notre conviction quant à la victoire du peuple sur les commanditaires et exécutants des assassinats de Sapouy ne fait que se conforter. Tant que le dossier ne sera pas jugé, il n’y aura pas de répit.

 

Propos recueillis par Kiswendsida Fidèle KONSIAMBO

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