ActuBurkina
A la une Société

Survie des PDI de Pazani : entre résilience et espoir

 Depuis 2015, le Burkina Faso fait face à une crise sécuritaire sans précédent provoquée par des violences armées. De multiples attaques perpétrées pour la plupart contre les civils ont occasionné un déplacement massif de plus d’un millier de personnes, des pertes en vies humaines et des fermetures de services sociaux. En effet, en 2019, des déplacés internes fuyant des attaques terroristes dans certaines localités du pays, ont pris d’assaut Ouagadougou. Certains ont trouvé refuge au quartier non loti de Pazani, dans l’arrondissement 9 de la capitale burkinabè. Si ces derniers ont certes tout perdu dans leur fuite, ils n’ont, cependant, pas perdu leur résilience. Car en tant que pères et mères pour la plupart, ces Personnes déplacées internes (PDI) ne reculent devant rien afin d’apporter, non seulement du pain sur la table de la famille mais aussi subvenir aux autres besoins vitaux. Elles sont alors partagées entre résilience et espoir d’un lendemain meilleur. Nous sommes allés à la rencontre de quelques-unes, le 28 novembre 2023.

 Il est 10 heures, le 28 novembre 2023, sous un soleil peu clément quand nous arrivons au lieu du rendez-vous avec notre point focal. C’est à Pazani, un quartier non loti de Ouagadougou qui abrite depuis 2019, des PDI ayant fui les affres du terrorisme. Ceux que nous rencontrons ont tous fui le village de Silgadji, dans la province du Soum, région du Sahel pour sauver leur vie. Pour des raisons sécuritaires, nous optons de leur attribuer des noms d’emprunt.

Tanga Kanougou, est l’un des représentants des PDI installées à Pazani. Il nous informe qu’il était cultivateur, éleveur et exerçait un peu le commerce. « Dans ma vie de PDI aujourd’hui, c’est tout boulot qui me permettra de me nourrir et de subvenir aux besoins de ma famille que j’exerce », nous confie- t-il, avant de nous inviter à aller voir son boulot du jour qui consistait à livrer du banco à un demandeur avec un tricycle qu’il dit avoir emprunté pour la circonstance. Et le banco, il part le chercher sur un chantier de bitumage de route, précise-t-il. Notre interlocuteur nous apprend aussi que la maison dans laquelle il loge avec sa famille lui a été cédée par une bonne volonté qui a bien voulu soulager sa souffrance en   matière de loyer. Tanga Kanougou, qui est le chef d’un ménage qui compte 21 membres, soutient que de nombreux chefs de ménages sont obligés de débourser chaque mois, de l’argent pour le loyer. Ce qui est une charge difficile à supporter étant donné, qu’ils n’ont pas d’emplois bien rémunérés.

Tanga Kanougou, l’homme à tout faire maniant ici, une pelle

Pazani n’est pas un site répertorié par le gouvernement pour accueillir des PDI. Et selon les dires de Tanga Kanougou, lorsqu’ils en ont exprimé le besoin, le gouvernement, à travers le ministère en charge de l’action humanitaire, a refusé, sous prétexte, explique-t-il, que les « PDI seront une porte d’entrée des terroristes dans la capitale ». « Notre refus de retourner sur les deux localités que sont Barssalgho et Foubé nous ont valu une descente musclée de la Police à Pazani. Deux de nos frères ont été conduits manu militari au commissariat où ils ont été gardés pendant une semaine dans l’optique de briser la résistance au sein des PDI », raconte-t-il. Après cet épisode, poursuit notre interlocuteur, la soixantaine bien sonnée en déplorant l’action de la Police qui est revenue emporter les citernes qui leur servaient l’eau à boire. Ce fut une déception pour bon nombre de PDI qui ont accepté de repartir vers d’autres sites. « Nombre de ceux qui ont tenté de rejoindre Barssalgho ou Foubé ont péri dans des attaques ou ont été portés disparus », indique Tanga Kanougou tout ému.

Face à la dure réalité de se trouver gite et couvert, les PDI ne baissent pas les bras. De bonnes volontés leur tendent la main pour les aider à se sortir de la misère dans laquelle elles vivent. C’est le cas de ce dernier dont nous taisons le nom, venu avec une offre de formation en technique de culture de jardin potager hors sol, à l’endroit des PDI qui voudraient bien s’y lancer. Au moment où nous étions sur les lieux, ce projet était à la phase de préparation des pépinières au niveau de certains ménages. Ce projet pourrait contribuer à offrir aux ménages des légumes et des feuilles pour la consommation et pourquoi pas leur commercialisation ? A en croire Tanga Kanougou, les revenus qu’il tire de ses petits boulots lui permettent de répondre aux aux différents besoins de sa famille en termes de nourriture, de loyer, de santé et de frais de scolarité. La cohabitation entre PDI et populations hôtes dans bien des cas, n’est pas toujours pacifique pour diverses raisons. Cependant, il ressort du témoignage de Oumarou Sawadogo que les PDI ne rencontrent pas de difficulté particulière de cohabitation avec ceux qu’ils sont venus trouver à Pazani. Pour lui, tout se passe comme s’ils se connaissaient depuis bien longtemps. Un fait qui est confirmé par un membre de la population hôte, Panga Karuda, à qui nous avons tendu notre micro. Ce dernier estime que les PDI vivent en bonne intelligence avec la population hôte de Pazani ; en témoigne, dit-il, les maisons qu’ils ont cédées à certaines familles de PDI pour exprimer leur solidarité envers elles, sans compter d’autres soutiens de divers ordres.

 

Taalé Suka est septuagénaire. Au regard de son âge, il estime qu’il ne peut plus exercer un travail qui demande beaucoup d’endurance physique. C’est pourquoi il vend des objets de piété comme des chapelets musulmans, des bonnets de prière et des produits de la pharmacopée traditionnelle. A chaque lever du soleil, il enfourche son vélo à la recherche de la clientèle. Il sillonne les différents marchés et yaars de la capitale et tout lieu public. Taalé Suka nous confie qu’il fait ce travail afin de demeurer digne. « Quand j’étais à Silgadji, je ne dépendais de personne. Je me suffisais à moi-même et je prenais en charge une famille d’une quinzaine de membres. Mais après avoir perdu tous tes moyens de subsistance, tu es obligé d’en reconstituer tant que tu peux afin d’éviter de tendre la main pour ne compter que sur l’aumône et la miséricorde des gens »,  indique Taalé Suka.  Ce septuagénaire nous confie également que certains de ses enfants qui ont atteint l’adolescence, sont partis sur des sites aurifères pour chercher de quoi vivre.

Taalé Suka exposant ses articles de commerce

Regma Lougri, la première parmi les femmes PDI qui a accepté de s’ouvrir à nous, explique que pour subvenir à leurs besoins et d’obtenir de quoi manger à leurs familles respectives, certaines femmes ramassent du sable tandis que d’autres, à longueur de journée, cherchent à louer leurs services à certains ménages en matière de lessive ou font du petit commerce. Pour le cas de Regma Lougri, elle fait savoir qu’au début, elle ramassait du sable pour le revendre. Mais au regard de son âge puisqu’elle est à plus de la cinquantaine, il lui est difficile de continuer à faire ce travail qui est très éprouvant sur le plan physique. C’est pourquoi dit-elle, elle a décidé de se lancer dans la vente du charbon de bois et du savon liquide. Elle fait aussi de la collecte du plastique qu’elle revend à 100 F CFA, le kilogramme. Regma Lougri dit faire tous ces travaux pour éviter la mendicité qui n’honore aucunement l’être humain et lui en enlève toute dignité. « Je rencontre des PDI qui s’adonnent à la mendicité mais j’ai décidé de m’en détourner. Je vivrai la vie que Dieu me donne de vivre avec le peu que je gagne par l’usage de mes dix doigts », laisse entendre notre interlocutrice avec un ton empreint d’espoir.

 

Munie d’un balai, d’un seau et d’une pelle, nous avons trouvé Nongdo Kiba à son lieu de travail, à quelques mètres de son domicile. Elle est de taille moyenne avec un âge oscillant entre 55 et 60 ans. Elle dit être à la recherche de son pain quotidien à travers le ramassage et la vente de sable. « Mais ramasser du sable pour le vendre, c’est sans compter avec la saison sèche parce qu’en cette période, il est très difficile d’en trouver. Aussi, avec les constructions des habitations, on n’a plus de site où aller chercher ce sable », fait savoir, Nongdo Kiba d’un air abattu. C’est dire si ses chances de poursuivre l’activité de ramassage de sable s’amenuisent. Notre interlocutrice dit être aussi consciente des risques et des dangers de l’activité qu’elle mène. « Je n’ai pas encore trouvé une autre activité à faire sinon, je sais qu’il y a trop de risques de santé dans le ramassage de sable », soutient Nongdo Kiba.

Nongdo Kiba sur son lieu de travail

Piiga Kayendé, une autre PDI, explique qu’avant sa fuite pour Ouagadougou, il était installé dans le village de Tabramba, à quelques encablures de Silgadji, où il exerçait son commerce. Selon ce dernier qui dit se souvenir des différents épisodes de son périple comme cela s’était passé hier, les hommes en armes, faisaient régulièrement des incursions dans leur village pour enlever des hommes. De ses explications, dans un premier temps, les habitants du village pensaient que ceux qui sont enlevés par les hommes armés étaient ceux qui sont engagés dans la guerre et qui, par la suite, ont voulu abandonner.  Avec le temps et contre toute attente, ils ont fait le constat amer que les hommes armés venaient tuer leurs enfants dont ils savent bien qu’ils ne sont pas mêlés à cette guerre. Toute chose qui a motivé leur déplacement vers Ouagadougou. Piiga Kayendé nous confie avoir beaucoup souffert dans sa fuite.

Comme la plupart de ses parents étaient restés à Silgadji, il s’est senti obligé d’y retourner. Mais c’était sans compter avec la barbarie des hommes armés non identifiés. Car c’est peu de temps après qu’il a procédé à sa réinstallation à Silgadji que ces derniers sont venus les chasser du village. Selon Piiga Kayendé, pour le relogement de sa famille, ses parents restés à Silgadji, l’ont aidé à construire neuf maisonnettes de douze tôles chacune.  « Dès qu’on a fini de construire les maisons, les hommes en armes sont venus pour nous déloger. Je me rappelle bien ce jour, treize personnes ont été tuées. Et c’est là maintenant qu’on a pris la route pour rallier Ouagadougou », raconte notre interlocuteur. « Toute notre famille à Silgadji a rejoint Ouagadougou »,  précise Piiga Kayendé. Dans cette fuite pour Ouagadougou, il fait savoir que les hommes ont d’abord quitté le village avant de revenir préparer le déplacement des femmes et des enfants. Piiga Kayendé est époux de trois femmes avec une vingtaine d’enfants. A Pazani, il vit dans un logis qui lui a été cédé par une bonne volonté. Cependant, il doit payer la location pour certains de ses enfants qui sont toujours en bas âge.

Tanga Kanougou montrant sa pépinière

Certaines PDI ne se contentent pas de l’aide humanitaire et des appuis ponctuels de bonnes volontés. Elles sont présentes dans toutes les activités à leur portée pour trouver à la sueur de leur front, de quoi prendre en charge leurs familles.  Et pour réussir leur mission, les PDI mettent en valeur le savoir-faire acquis dans leurs localités d’origine et leur force physique. Elles saisissent également des opportunités de formation et de renforcement de capacités qui leur sont offertes pour se lancer dans de nouvelles activités. A défaut d’une qualification professionnelle ou de maîtrise d’un métier, la force physique reste un atout que les PDI n’hésitent pas à utiliser pour gagner de quoi prendre en charge leurs familles. C’est ainsi qu’elles se retrouvent dans le ramassage et la vente du sable, du plastique, du charbon de bois, etc.  Ces différentes activités leur permettent de se faire des revenus, afin de contribuer à la survie et à la résilience de leurs ménages.

Kiswendsida Fidèle KONSIAMBO

Articles similaires

SENEGAL : au moins 16 morts et près de 600 blessés de retour d’un pèlerinage musulman

ActuBurkina

Affaire Marcel Tankoano et autres: Les audios écoutés à la demande du procureur

ActuBurkina

Niger : Le Conseil Paix et Sécurité de l’UA «prend note» de la décision de la Cédéao de déployer une force et suspend le pays

ActuBurkina

Laisser un Commentaire

ACTUBURKINA

GRATUIT
VOIR