Il fait partie des cadres, ou du moins des têtes pensantes de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) puisqu’il chemine avec ce parti depuis sa création en 2009 et est député à l’Assemblée nationale. Outre sa carapace d’homme politique, il est dépositaire des rites et traditions, puisqu’il est chef coutumier. Lui, c’est le Poe Naaba, un des ministres du chef suprême des Mossé. A travers cette interview qu’il nous a accordée, le 3 août dernier, l’homme au bonnet rouge a bien voulu se prononcer sur certains sujets de l’actualité nationale, entre autres, son « histoire passionnante » avec l’UPC, la gestion du pouvoir du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), la crise au sein du Parti pour la renaissance (PAREN), la limitation du nombre d’enfants par femme, voulue par les parlementaires de la CEDEAO, etc.
Actuburkina : Vous êtes un des ministres du Mogho Naaba. En quoi consiste votre rôle ?
Poe Naaba : Je voudrais d’abord vous remercier pour l’honneur que vous me faites en vous intéressant à ma vie. Une vie publique parce que je suis ministre du Mogho Naaba, je suis le Poe Naaba Tenga. Le Poe Naaba, en fait, est le grand inquisiteur du royaume. Et l’inquisition a eu un très grand rôle dans la France antique comme dans les royaumes africains. En effet, le Poe Naaba était l’un des personnages les plus craints du royaume. Aujourd’hui, je pense qu’avec la superposition que les gens veulent faire des différentes sociétés, notamment la superposition de la société européenne par rapport à notre mode de vie, on parle de ministre. Sinon, chez nous, il est vrai que c’est un ministère mais cela ne correspond en rien à notre organisation sociétale. Aujourd’hui, on dit que le Poe Naaba est le ministre de la Justice parce que son rôle correspond beaucoup mieux à cela, au regard de l’organisation coloniale, étant donné que nous avons été colonisés par les Français qui ont voulu mettre en place leur mode de gestion du pouvoir d’Etat. Donc, le Poe Naaba est aujourd’hui le ministre de la Justice du Mogho Naaba mais, en réalité, dans le temps, l’exercice de sa fonction, faisait de lui le grand inquisiteur du royaume.
On vous sait très engagé politiquement. Arrivez-vous à concilier vos activités politiques et celles coutumières ?
C’est un débat qui n’est pas encore épuisé. Je voudrais dire que la réponse que je vais donner n’est pas une réponse définitive, parce que la question de la place et du rôle de la chefferie coutumière et traditionnelle dans notre République, n’est pas encore complètement épuisée. Ce que je veux dire, c’est que depuis les premières fondations du royaume moaga de Ouagadougou par Naaba Oubri dans les années 1 100-1 150, et qui nous a laissé un héritage très important, c’est la chefferie
coutumière et traditionnelle qui a géré les aspects administratif, judiciaire, exécutif et législatif des différents royaumes, parce que vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a l’empire moaga qui est constitué de cinq grands royaumes autonomes. Donc, je dirais que depuis l’existence du royaume moaga de Ouagadougou, c’est la chefferie coutumière qui a donné les grandes orientations de la vie, qui a créé les règles de vivre-ensemble et qui a été celle-là même qui a défendu le royaume. Donc, la chefferie coutumière et traditionnelle est éminemment politique. Par conséquent, je dirais que mon intervention sur la scène politique, peut paraître à ce moment naturelle parce que, par essence, le chef coutumier et traditionnel est politique. C’est vrai, ensemble, nous pouvons déterminer à la fois ce que peut être son rôle, sa place dans une République souvent traversée par des tensions et nous avons souvent besoin de son intervention pour apaiser les esprits et surtout réguler de façon intelligente, la marche de la Nation. J’ai choisi d’aller en politique parce que j’ai un idéal que je partage avec un certain nombre de camarades et nous avons une vision commune du développement. C’est pour cela que j’ai décidé, en mon âme et conscience et en toute responsabilité, d’intervenir en politique au-delà de mon rôle de gardien de la tradition. J’essaie au mieux de concilier ce rôle de gardien des rites et traditions avec celui-là qui peut avoir une vision parcellaire de comment nous allons aller, d’où nous devons aller. Parce qu’appartenant à un parti politique, à un groupe qui véhicule un idéal. Certainement, je peux ne pas être d’accord avec d’autres Burkinabè qui aspirent également au développement, à participer à la construction de notre nation. Mais grâce aux conseils avisés des uns et des autres, surtout à travers la presse, parce que je suis un grand lecteur, cela me permet d’avoir une large vision des problèmes que le Burkina Faso peut avoir. Cela me permet également d’avoir un horizon beaucoup plus grand quant aux propositions que les uns et les autres peuvent faire. Donc, cela me permet, jusqu’à présent, de concilier au mieux ces deux rôles.
« Ce serait très hypocrite de dire que la fonction de député ne nourrit pas son homme »
Comment êtes-vous arrivé à l’Union pour le progrès et le changement (UPC), votre parti ?
C’est une histoire passionnante parce que dès que j’ai lu le manifeste de l’UPC la première fois, j’ai dit qu’il fallait que je milite dans ce parti. Quand on m’a parlé de son premier responsable, en la personne de Zéphirin Diabré, je me suis rendu compte que le commun des Burkinabè avait de l’admiration pour lui. Je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu. C’est à l’issue d’un entretien qu’il a eu avec le Mogho Naaba que j’ai approché un frère et ami du Yatenga qui était du Bureau exécutif de l’époque pour savoir comment j’allais faire pour le rencontrer. A ma grande surprise, avant même de quitter chez le Mogho Naaba, il était déjà chez moi à la maison et m’attendait. Voilà comment a commencé cette histoire passionnante, parce que je me suis rendu également compte qu’au-delà du président du parti UPC, il y avait d’autres camarades qui avaient les mêmes ambitions pour notre pays comme moi. Voilà comment et sans hésiter je me suis inscrit pour la première fois, et pris pour la première fois, la carte d’un parti politique à l’époque, qui n’avait pas encore déterminé sa vision idéologique. Nous avons donc cheminé ensemble jusqu’à l’élaboration de la Charte à l’issue d’un congrès où l’UPC s’est résolument décidée à prendre le chemin du social-libéralisme. Aujourd’hui, le social-libéralisme est l’idéologie qui prône le plus de liberté, non seulement d’expression, mais aussi d’actions. Je suis de ceux qui militent pour qu’on donne plus de liberté à toute entreprise.
Et ce parcours avec l’UPC dure depuis combien de temps maintenant ?
Depuis sa création en 2009, je suis de ceux-là qui ont cheminé aux côtés des camarades, des sympathisants et militants de l’UPC.
Quel type de relation entretenez-vous avec le Larlé Naaba, un autre ministre du Mogho Naaba, quand on sait qu’il est proche du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et vous, cadre de l’UPC ?
Pour ceux qui ne le savent pas encore, le Larlé Naaba est mon oncle. Et au-delà de cette fratrie, je suis ministre du Mogho Naaba tout comme lui. Quand on dit ministre du Mogho Naaba, les gens voient l’organisation moderne de la société qui veut que le président du Faso nomme un Premier ministre qui nomme ou propose ensuite ses ministres. Chez nous, ce n’est pas le cas. Dans notre hiérarchie directe, celui qui a le pouvoir de nommer et de déchoir ses ministres, reste le Mogho Naaba. Donc, ma hiérarchie directe est le Mogho Naaba, je n’ai de comptes à rendre à aucun autre ministre. Il est très important de souligner également que toute organisation qui veut survivre aux vicissitudes, le monde changeant, doit pouvoir s’organiser de façon intelligente. C’est en cela qu’il y a la préséance qui existe chez nous. Et cette préséance, en son temps, a été établie sur la base du droit d’aînesse. Vous savez que nous avons beaucoup de respect pour les aînés. Aujourd’hui, nous avons, au niveau des ministres du Mogho Naaba, des relations de courtoisie, de respect, souvent d’amitié et de sympathie. Parmi eux, il y a des ministres avec qui je suis régulièrement, presque tous les jours. Pour ne pas les citer il y a le Kamsaonghin Naaba, le Nem Naaba qui est député MPP. Je suis souvent étonné de savoir pourquoi on ne me demande pas le type de relation que j’entretiens avec ce dernier. Parce que tout simplement les gens connaissent beaucoup plus le Larlé Naaba qui a été à l’ODP/MT, au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et aujourd’hui au MPP, parti qui peut être considéré comme rival de l’UPC parce que nous avons l’ambition un jour de gérer le pouvoir d’Etat. Mais, ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas une certaine complicité entre nous. Il n’y a vraiment pas de problème entre le Larlé Naaba et moi. Nous avons un respect profond l’un pour l’autre. Par ailleurs, je n’hésite pas à profiter de son expérience politique car il est allé très tôt en politique et a une expérience qui peut être mise à contribution. Je n’hésite pas à lui poser les questions qu’il faut. Cependant, je suis très intéressé de me construire moi-même. Le plus important pour nous, ce n’est pas de ressembler à quelqu’un ou être quelqu’un, mais c’est d’être soi-même. C’est la qualité de sa participation qui est très importante et je me bats tous les jours pour donner une meilleure qualité aux débats politiques lorsque je suis interpellé. C’est cela le plus important pour moi et je n’hésite pas, quelle que soit la personne, à aller demander des conseils. Le Larlé Naaba fait partie des personnes qui sont toujours promptes à me donner des conseils utiles et intelligents.
Vous êtes député à l’Assemblée nationale. La fonction de député nourrit-elle son homme ?
Ce serait très hypocrite de dire non, quand on connaît le salaire du député qui dépasse un peu le million de F CFA. Combien de Burkinabè aujourd’hui, notamment des cadres supérieurs, croulent sous le poids des dettes parce qu’ils ont un salaire qui ne leur permet pas de gérer des questions fondamentales ? Etre député, nécessairement, nourrit son homme parce que nous avons des avantages. Mais il y a tout de même un bémol ; ceux-là qui sont mieux nantis doivent venir au secours des moins nantis. C’est en cela que le député participe à la gestion de certaines ordonnances, à la scolarisation de nombre d’enfants de tierces personnes. Je suis à mon 2e mandat et le premier m’a permis de comprendre quelque chose : les gens peuvent peut-être ne pas le savoir, mais il m’arrivait de payer l’intégralité de la scolarité d’autres enfants pendant que celle de mes enfants n’était pas encore honorée. C’est cela aussi le député, sous nos cieux. Sinon, le député, au Burkina Faso, est celui-là qui a un des meilleurs salaires. A ce titre, je peux dire que la fonction nourrit son homme mais en même temps, elle appelle à des responsabilités sociales que nous mesurons bien et que nous essayons de remplir au mieux. Mais j’avoue que ce n’est pas toujours simple, car il y a des députés qui, parce qu’ils exercent cette fonction, ont des problèmes financiers énormes. Alors que ce n’était pas le cas quand ils ne l’étaient pas. Je connais des députés, sous cette législature, pour qui être député est un sacrifice. Mais, pour revenir à votre question, la fonction nourrit son homme ou sa femme.
« Lorsque dans la meute, il y a un loup solitaire, il peut être un danger pour les autres »
Dans le mois de juillet, votre parti a sanctionné deux de ses parlementaires pour n’avoir pas respecté le mot d’ordre de boycott concernant le vote de la loi sur le Partenariat public-privé. Quel est votre commentaire sur le sujet ?
Cela nous donne l’occasion de corriger quelque chose. Quand je lis souvent qu’ils ont été sanctionnés pour n’avoir pas respecté la consigne de vote lors de la séance plénière du 3 juillet 2017 consacrée au vote de la loi sur le PPP, je dis qu’il y a quelque chose qui n’a pas été dit. Quand on prend le cas du député Elysée Kiemdé (NDLR : il a été exclu de l’UPC), cela fait plus de deux ans qu’il n’a plus participé à une réunion du Bureau politique national. Je pense qu’en tant que cadre du parti, cela est très grave. Le député Kiemdé a reçu un certain nombre de demandes d’explication par rapport à ses distances avec le parti, demandes auxquelles il n’a jamais daigné répondre. Lorsqu’au cours d’une réunion des députés du groupe parlementaire, vous discutez du mode de votation, chacun donne ses arguments. Mais lorsqu’à la fin de la rencontre, vous ne dites rien, pour soutenir après que de toute façon, vous restez et vous votez, sans dire pourquoi, je pense que quelque chose ne va pas. Vous savez, il y a une sagesse mongole qui dit que « la force de la meute est le loup et la force du loup est la meute ». C’est seulement ensemble qu’un parti politique peut remporter des victoires. Lorsque dans la meute, il y a un loup solitaire, il peut être un danger pour les autres. Lorsqu’en politique surtout, le débat doit se poser, chacun doit amener ses arguments de sorte à convaincre ses camarades. C’est cela qui a manqué au député Kiemdé avec qui j’entretiens des relations chaleureuses, sincères, parce qu’il m’aime beaucoup et j’ai un profond respect pour lui.
En ce qui concerne le député Jacques Palenfo qui a reçu un blâme, je pense qu’il est très important de noter que nous sommes forts quand nous sommes ensemble. C’est grâce à la discipline, au programme de société du candidat de l’UPC que nous avons pu avoir le maximum de députés, 33 au total. Le camarade Palenfo devrait savoir cela et se rappeler que nous avons eu des élections couplées en 2015 et que le projet du parti a beaucoup joué sur les projets locaux que chaque candidat pouvait avoir. Donc, il est très important que nous restions dans cette vision parce que nous ambitionnons et nous allons nous donner les moyens d’accéder au pouvoir d’Etat en 2020. Dans toute organisation qui se veut forte, il est très important qu’on puisse poser les bases d’un vivre-ensemble et les textes du parti prévoient le comportement des cadres du parti, règlent et déterminent les sanctions que chacun peut encourir en cas de faute. Nous n’avons pas à déroger aux textes fondateurs du parti qui sont le socle de la vie de notre parti.
Il est très important que nos militants et sympathisants comprennent qu’au-delà de nos divergences, notre lutte fondamentale est de pouvoir donner aux Burkinabè le meilleur. Le meilleur consiste à faire en sorte que chaque Burkinabè puisse se soigner quand il est malade, puisse s’habiller quand il a froid, puisse se nourrir convenablement et c’est l’ambition de notre parti. Nous devons véhiculer des valeurs, être des modèles, et le modèle d’hommes et de femmes que nous concevons au niveau du parti, c’est ce modèle qui incarne les valeurs d’intégrité, de probité, d’humilité et surtout de courage et de sincérité. Le parti se doit d’être sincère avec ses militants, sympathisants, en sanctionnant quand il faut et en félicitant également quand il faut. Mais soyez rassurés, la porte de l’UPC reste toujours ouverte au camarade et nous pouvons toujours faire de grandes choses ensemble.
Suite au blâme qu’il a reçu, le député Palenfo, dans une interview qu’il nous a accordée, a déclaré qu’il « préfère un cadre de l’UPC indiscipliné à un cadre mouton et suiviste ». Quel est votre commentaire sur ses propos ?
Je suis fier qu’un cadre de mon parti dise cela. Pourquoi ? Parce que nous avons adopté comme idéologie du parti, le social- libéralisme qui prône le plus de liberté, qui se bat pour que chacun puisse parler librement. Et nous allons nous battre pour une plus grande expression des libertés. Je suis fier de savoir qu’un cadre de mon parti a l’autonomie de la pensée et celle de l’expression. C’est une fierté pour moi. Mais ce que je dois dire, c’est qu’il faut également que nous sachions que l’idéal que nous avons, doit être défendu dans un cadre strict du respect des textes du parti, de la pensée du parti et également du respect de la camaraderie. Je suis désolé de le dire. Il n’y a pas de cadre mouton à l’UPC, pour ceux qui peuvent penser qu’il y en aurait. Cela n’existe pas chez nous. Il y a certainement des gens qui peuvent avoir une trop grande liberté d’expression. Par moments, cette liberté va au-delà de leur pensée. Je ne pense pas qu’au fond, le camarade Palenfo voulait nous traiter de cadres moutons. Si on se réfère au vote de la loi où nous avons quitté la salle, je ne crois pas qu’au fond, il pense ainsi. Si c’était le cas, ce serait vraiment regrettable. Mais, comme je l’ai dit, nous avons une vision holistique du développement et nous avons tracé le chemin qui puisse nous permettre d’y parvenir et le camarade Palenfo est un cadre compétent qui peut apporter sa pierre à cet édifice. Nous allons toujours continuer à échanger et à essayer de nous convaincre de ce qu’il faut nécessairement pour que chacun apporte son intelligence à celles des autres.
Comment appréciez-vous la gestion du pouvoir du MPP ?
Je ne pense pas que j’ai à apprécier au-delà de l’appréciation que les populations ont de cette gouvernance. Partout où vous allez, vous entendez les gens crier que ça ne va pas, rien ne marche, que ce soit en campagne ou en ville. Que ce soit au niveau du secteur du commerce ou de l’Administration publique ou privée. Aujourd’hui, tout le monde se plaint. Je ne sais pas exactement ce qui se passe. Est-ce le pouvoir MPP qui est incapable d’assouvir les espérances des populations ou est-ce le contexte mondial qui ne lui permet pas de prendre les décisions fortes qu’il faut ? Mais une chose est certaine, la gestion du pouvoir du MPP semble être une gestion d’amateurisme. Nous avons un gouvernement qui peine à prendre des décisions courageuses pour avancer. Je ne sais pas ce qui ne va pas, étant donné que je ne suis pas dans le secret des dieux. Une chose est sûre : le commun des Burkinabè constate qu’aujourd’hui, les choses ne bougent pas. Vous avez, de nos jours, des gens qui prennent des libertés pour dire qu’ils regrettent le départ de l’ex-président Blaise Compaoré et d’autres lancent même des appels pour son retour. C’est dire combien aujourd’hui les gens sont amers, au regard de la gestion du MPP. Nous nous rendons compte qu’il y a souvent un langage de dédain, face aux cris des gens. Cela est vraiment regrettable. Nous avons combattu quelque chose et nous allons continuer à combattre cette chose qui est l’arrogance. Le régime de Blaise Compaoré était entre-temps devenu tellement arrogant qu’il n’avait pas vu les choses venir. Malheureusement, après l’insurrection, nous sommes souvent témoins d’un certain langage d’arrogance de la part de certains hauts responsables du MPP. Cela est vraiment regrettable et nous appelons à plus de conscience, plus de travail tout en espérant que les Burkinabè ne vont pas continuer à souffrir de cette gestion calamiteuse du régime MPP.
Votre parti avait, en son temps, critiqué la gestion de l’Assemblée nationale. Quelle est la situation actuellement ?
C’est moi-même qui avait en son temps dit que nous étions mieux traités sous Soungalo Ouattara (NDLR : dernier président de l’AN sous Compaoré) que maintenant. Mais pour être honnête, de plus en plus, nous nous rendons compte que le langage devient plus modéré parce que les gens se sont frottés à la realpolitik. Ils pensaient qu’il fallait toujours tout imposer au forceps mais de nos jours, le langage est beaucoup plus policé. Il y a également que la gestion d’ensemble de l’AN est meilleure parce que l’opposition a émis un certain nombre de critiques et le président de l’AN a été obligé de les prendre en compte. Il y a que nous avons les enquêtes parlementaires qui ont fortement contribué à la gouvernance de l’hémicycle. De plus en plus, nous allons vers une gouvernance mieux organisée.
Récemment, la Justice burkinabè a annoncé avoir lancé un mandat d’arrêt contre le frère cadet de l’ex- président, François Compaoré. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
Je voudrais d’abord m’excuser parce qu’en tant qu’homme politique, je devrais être mieux avisé sur ces questions. Malheureusement, j’ai été surpris par l’évolution des choses parce que j’ai beaucoup voyagé ces derniers temps et c’est à travers la presse que j’ai pu avoir quelques bribes d’informations. Ce que je voudrais dire, c’est que je souhaite que la Justice burkinabè soit vraiment indépendante et qu’elle ait la liberté de faire son travail de façon consciencieuse et professionnelle. J’espère que c’est ce qui est en train d’être fait. S’il y a lieu de lancer un mandat d’arrêt contre lui, je pense qu’il y a eu d’abord un travail d’investigation par le juge d’instruction qui a trouvé nécessaire de lancer ce mandat. Je respecte la Justice burkinabè et je souhaite qu’on puisse lui donner également tous les moyens financiers et matériels pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle. Je dirais également qu’au-delà de ceux qui ne gèrent plus le pouvoir d’Etat, que la justice fasse son travail. Il doit en être de même quand il y a des dossiers concernant ceux qui gèrent le pouvoir actuel et ceux de l’opposition. La Justice doit foncer comme on dit, parce que le Burkinabè nouveau souhaite qu’il y ait plus de justice.
Depuis le 22 juillet, une vive polémique s’est installée suite à la décision des parlementaires de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la Mauritanie et du Tchad de limiter le nombre d’enfants par femme, précisément à trois, pour sortir le continent de son extrême pauvreté. Quelle est votre commentaire ?
Avant d’arriver à l’AN, j’étais dans l’associatif. J’ai été chargé de missions dans un programme de lutte contre la tuberculose, ensuite chargé de suivi-évaluation dans un projet de lutte contre le paludisme et la structure à laquelle j’appartenais était l’Union des religieux et coutumiers du Burkina (URCB) qui avait un certain nombre de programmes dont la limitation des naissances. Je ne crois pas qu’on puisse régler la limitation des naissances à travers un texte de lois. Il faut un travail de sensibilisation, d’éducation et de conscientisation de nos populations, en leur faisant comprendre pourquoi il faut limiter les naissances. Actuellement, le marché de l’espace CEDEAO est assez vaste mais quand vous regardez, l’économie est toujours plombée. Donc, ce n’est pas le nombre de populations qui peut nous faire avancer. Si vous prenez l’exemple de l’Allemagne, en termes de population, c’est un vaste marché. Oui, on peut avoir un vaste marché, mais quand les populations de cet espace n’ont pas assez de moyens pour accéder à ce marché de biens et matériels, je pense que c’est assez difficile. Le plus important et ce que nous devons savoir, que ce soient pour les députés burkinabè ou ceux de l’espace CEDEAO ou UEMOA, c’est que nous devons travailler à donner plus de capacités de discernement à nos populations, leur faire prendre conscience de leurs propres problèmes et proposer des solutions à leurs problèmes. Je suis étonné qu’on nous dise qu’on va adopter des lois pour gérer la vie au foyer, en couple, et qu’au même moment, on ne fait rien pour certains programmes comme l’alphabétisation. En effet, le taux d’alphabétisation au Burkina Faso est pratiquement à zéro, parce qu’on ne parle plus véritablement du programme d’alphabétisation. Il est vrai que le taux de scolarisation est en train de monter, mais celui de l’alphabétisation est aujourd’hui très faible. Il n’y a pratiquement pas de programme ou de projet qui va dans ce sens. Comment faire en sorte que quelqu’un qui n’a même pas la capacité de réfléchir sur sa propre situation, puisse réfléchir à la solution qu’il faut à son problème ? Nous sommes à près de 80% de taux d’analphabètes. Cela est très grave. Il faut qu’on prenne des mesures fortes à ce niveau, avant d’imposer le nombre d’enfants dans les foyers.
« Le Burkina Faso a besoin de se réconcilier avec lui-même »
L’affaire défraie la chronique ces derniers temps. Il s’agit de la crise au sein du Parti pourla renaissance (PAREN). Comment avez-vous accueilli cela ?
Nous assistons aujourd’hui, et j’ai le regret de le dire, à des échanges qui n’honorent pas la classe politique burkinabè. Je regrette que cette crise nous donne à assister à des langages peu courtois. Le PAREN est un grand parti politique car il ne faut pas oublier que le candidat Tahirou Barry est arrivé 3e à la présidentielle de 2015. Donc, c’est un grand parti comme l’UPC, le MPP ou l’UNIR/PS. Je suis d’accord qu’il puisse y avoir des crises, des divergences qui peuvent être fondamentales dans la vie du parti, mais que ces divergences soient jetées sur la place publique de cette manière, je le regrette. Je souhaite simplement que l’ensemble des acteurs de cette crise sachent raison garder et se retrouvent parce que le PAREN est un grand parti qui participe au débat national et apporte beaucoup. Parce que j’ai vu l’engouement que ce parti a eu lors des campagnes. C’est un parti qui ne doit pas disparaître du fait des antagonismes qui peuvent être aplanis. Je souhaite que Dieu leur donne beaucoup d’intelligence et surtout le courage de se réconcilier, de se pardonner de sorte à participer de façon intelligente au débat politique national et de permettre à la classe politique de sortir plus grandie.
Pensez-vous, comme certains, que le Burkina Faso a besoin aujourd’hui de réconciliation ?
Oui, le Burkina Faso a besoin de se réconcilier avec lui-même. Parce que nous avons des valeurs fortes qui doivent fonder le Burkinabè. Je disais que mon modèle d’hommes et de femmes, c’est celui-là qui véhicule des valeurs de travail, de courage, d’honnêteté, de sincérité, d’humilité. Nous avons besoin de cela. Alors que l’Europe parle de retour à la source, nous, nous voulons quitter la nôtre avant de la rechercher. Le Burkina Faso a besoin de se réconcilier avec lui-même d’abord en posant les bases d’une société meilleure, fondée sur les valeurs évoquées plus haut.
Aussi, le Burkina Faso a besoin de réconcilier ses fils et filles. Quelle que soit votre appartenance idéologique, politique, culturelle, religieuse, c’est seulement ensemble que nous pourrons porter le drapeau du pays très haut. En effet, le Burkina Faso a besoin de se réconcilier en disant la vérité, en faisant en sorte que les crimes qui ont eu lieu soient révélés au grand jour, que justice soit faite. Il faut que les gens se parlent, qu’ils reconnaissent leurs erreurs, leurs fautes, crimes et délits et demandent pardon. Que nous acceptions le pardon de ceux qui se sont, à un certain moment donné, égarés. Nous devons accepter qu’ils viennent avec nous en tant que frères et en tant que sœurs. C’est seulement à ce prix que le Burkina Faso va véritablement pouvoir avancer sur le chemin du développement. Donc, réconciliation avec nous-mêmes, avec les autres en passant par la vérité et la justice.
Qu’auriez-vous souhaité dire que nous n’avons pas pu aborder ?
Je voudrais simplement vous renouveler mon amitié, ma sympathie et surtout mon respect pour la presse burkinabè dans son ensemble, particulièrement pour votre journal. Je souhaite que Dieu vous donne la force, le courage, la paix et l’intelligence d’avancer et ce, avec le Burkina Faso. Je voudrais lancer un appel aux militants, sympathisants du Kadiogo afin que nous soyons encore plus vigilants quant à la marche de la Nation. Cette vigilance va nous permettre de faire des propositions intelligentes qui pourront être prises en compte par le parti au pouvoir, de sorte à permettre de relancer l’économie parce qu’aujourd’hui, c’est la plus grosse difficulté que nous avons. Le secteur économique est très plombé. Je souhaite que nous puissions, au niveau de l’UPC, surtout section Kadiogo, participer au développement de notre nation parce que, que nous soyons de l’opposition ou de la majorité, nous avons le devoir de faire des propositions et être une force de propositions pour le Burkina Faso.
Je lance cet appel pour que nous puissions nous retrouver et voir quel sens peut prendre notre participation quant au développement de notre chère nation. Je souhaite également que les dirigeants actuels aient plus d’humilité, plus de compassion. Qu’ils soient à l’écoute de la souffrance des Burkinabè et se mettent très rapidement au travail. Je remercie les lecteurs du journal « Le Pays » et souhaite une bonne saison pluvieuse aux paysans. Que Dieu et les mânes des ancêtres fassent descendre de l’eau sur la Terre libre du Burkina et que cette saison des pluies soit abondante pour l’ensemble des fils et filles du Burkina Faso.
Propos recueillis et retranscrits par Colette DRABO