Ceci est une lettre ouverte du journaliste Adama Ouédraogo dit Damiss adressée au Président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré.
Monsieur le Président,
Contre vents et marées, vous vous êtes imposé par la force des armes à la tête de l’Etat et vous avez par la même occasion donné de vous l’image d’un jeune officier courageux, audacieux, déterminé et tenace.
Officiellement reconnu comme président de la Transition et chef suprême des forces armées nationales à l’issue des Assises nationales du 14 octobre 2022, vous allez bientôt former un gouvernement de 25 membres.
Vous avez annoncé aux premières heures de votre prise de pouvoir, que vous voulez aller vite car tout est urgent.
Vous avez raison. Tout urge. Mais pour réussir votre mission, je pense humblement que vous devez très rapidement régler un certain nombre de problèmes dont certains ont été créés suite aux évènements du 30 septembre 2022. Il vous faut:
-faire un choix éclairé du Premier ministre. Trouvez l’oiseau rare qui va coordonner l’action gouvernementale afin que vous puissiez sereinement vous occuper du front sécuritaire;
– travailler à recoller les morceaux au sein des forces armées nationales. Vous devez rencontrer les commandants de région et les chefs de corps pour un dialogue franc et sincère. Soyez à l’écoute de la Gendarmerie et des corps paramilitaires. Sans l’union et la cohésion au sein de l’armée, vous n’irez nulle part;
-faire une lettre au Mogho Naaba Baongho et aller le rencontrer. Même si vous n’êtes pas responsable des injures et des propos d’une rare violence tenus à son endroit, c’est votre coup d’Etat, vos soutiens dans la rue et les officines de propagande acquises à votre cause qui sont à l’origine des dérapages verbaux contre l’empereur des Mossé;
– avoir les meilleurs rapports avec les chefs d’Etat des pays voisins dans le respect mutuel;
-renforcer la coopération sous-régionale en matière de renseignement;
-apaiser les relations avec la France car les Français, très solidaires quand il s’agit de leur pays, ne nous pardonneront jamais l’attaque contre leur ambassade et les centres culturels français;
-prendre à bras le corps la question de la réconciliation car un peuple divisé ne peut rien réussir;
-libérer tous les militaires condamnés pour coup d’Etat. C’est une injustice et une aberration de garder des prisonniers pour atteinte à la sûreté de l’Etat alors que vous-même, vous êtes un putschiste. Vous êtes auteur et complice de deux putschs.
D’ailleurs, tout le monde est putschiste ou complice de putschiste dans ce pays en fonction de ses intérêts. Il y a des bons et des mauvais coups d’Etat. Quand le coup de force réussit, ils sont nombreux à courir comme des mouches attirées par le miel. Mais en cas d’échec, on sort les thèses du genre: « en cette ère de démocratie, on ne doit plus tolérer les coups d’Etat. Je condamne avec la dernière énergie… »
Pire, la loi légalise le coup d’Etat s’il est réussi et sévit quand il échoue. La prostitution juridique, pour emprunter le terme à un ami, est devenue la règle au Faso;
-faire rentrer Blaise Compaoré pour raison humanitaire car on peut détester cet homme mais il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître qu’il a donné à ce pays 27 ans de paix et de stabilité même s’il faut déplorer et condamner les crimes de sang sous son règne. Depuis son départ, le Burkina Faso est dans les couloirs et les périphéries de l’enfer du fait de l’incurie des dirigeants et de la mauvaise gouvernance politique et économique. Usez donc du pouvoir discrétionnaire que la Constitution vous confère pour faire rentrer le président Compaoré dans les meilleurs délais.
Demain vous pouvez vous-même vous retrouver dans la même situation. Dieu seul sait de quoi sera fait demain. Je demeure convaincu que Blaise Compaoré dans son état de santé actuel est plus préoccupé par la crise sécuritaire de son pays plus que beaucoup d’hommes politiques mus par leurs propres intérêts qui dissertent à longueur de journée sur la question du terrorisme.
N’écoutez surtout pas les haineux, les revanchards et autres rancuniers parmi lesquels des gens qui doivent leur ascension politique et sociale à l’enfant terrible de Ziniaré et qui par opportunisme sont subitement devenus sankaristes.
Quand je vois certains qui ont traité hier Thomas Sankara de renégat et ont célébré sa mort, j’ai beaucoup de peine pour ce pays;
-réorganiser avec la plus grande rigueur la gestion des personnes déplacées internes;
-revoir l’organisation et la motivation des volontaires pour la défense de la patrie (VDP) car sans eux certaines localités seraient tombées entre les mains des terroristes;
-se méfier des hommes politiques trop ambitieux. Ne travaillez pas à donner le pouvoir à un camp politique. Vous irez soit en exil soit en prison une fois que vous passerez le témoin à celui que vous avez fait Roi car le milieu politique est par essence ingrat;
– créer un cadre de travail pour des rencontres régulières avec vos frères d’armes capitaines avec qui vous avez fait le coup de force afin d’examiner les points de divergences qui pourraient naître dans la gouvernance;
– le diable de la division va entrer dans vos rangs comme entre vous et votre prédécesseur. Si vous gérez mal vos contradictions, vous les réglerez par les armes et le pays va encore reculer. L’histoire est remplie d’exemples qui montrent à suffisance que le traître est toujours à côté, souvent derrière, parfois à droite et quelques fois à gauche;
-s’entourer des meilleurs conseillers dans les différents domaines de la gestion des affaires de l’Etat et éviter les nominations de complaisance et de copinage;
-éviter de gouverner par la rue car la foule raisonne émotionnellement;
-le Burkina Faso coopère avec la Russie depuis 1960 alors ne cédez pas au ramdam sur la question russe. On veut vous pousser vers Wagner qui est une société privée et non le gouvernement russe qui a toujours été un partenaire de la Haute-Volta à nos jours.
La Centrafrique est toujours occupée malgré la présence des « gorilles » de Wagner. Le Mali n’a pas anéanti les terroristes qui restent très actifs. Le coût des interventions de Wagner reste toujours un mystère à Bangui et à Bamako alors que les Burkinabè réclament la transparence sur les dépenses militaires.
Si notre armée ne peut pas lutter contre des individus en boubous et en sandales circulant parfois à motos, ce ne sont pas les 1000 hommes venus de Russie fussent-ils des cyborgs qui le feront. Restez lucide sur la question de Wagner car si vous osez, les Etats-Unis vont lâcher le Burkina Faso et notre pays sera sur une voie sans issue. Si vous n’y croyez pas et prêtez une oreille attentive aux incultes sur les questions de géopolitique, les conséquences seront catastrophiques;
-enfin, vous n’êtes pas Thomas Sankara. Vous n’êtes pas non plus Assimi Goita. Vous êtes Ibrahim Traoré, capitaine des forces armées nationales, né le 14 mars 1988 à Kera, province du Mouhoun. Soyez-vous même. Je vous prie de changer vos masques à la Goita et présentez-nous un look original et authentique.
Je ne serai pas exhaustif mais une chose est sûre: vous avez du pain sur la planche dans ce pays où tout le monde est spécialiste en tout.
Je sais qu’à la suite de cette lettre, les griots et autres vuvuzelas qui rôdent comme des charognards autour d’une proie vous diront: » n’écoutez pas Damiss, c’est un pro untel, il est proche de… il est ceci ou cela » et j’en oublie. J’ai le droit de choisir mes amis et j’assume mes choix. Je suis dans tous les cas un pro Burkina, plus patriote que les petits esprits, en mal d’argument qui n’ont pour seule arme que les injures et le dénigrement. Je place l’intérêt supérieur de la Nation au-dessus de tout.
Analyste politique et observateur de la scène socio-politique, mon écrit vise à partager avec vous ma vision sur la situation nationale. Le temps, qui est un autre nom de Dieu, va juger et livrer son verdict. Tôt ou tard.
Je vous souhaite plein succès dans votre mission de restauration de l’intégrité du territoire national.
Que Dieu bénisse le Burkina Faso et le protège des forces obscurantistes !
Adama Ouédraogo dit Damiss
Journaliste et écrivain