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Grand docteur, artiste-reggae man burkinabè : « A l’heure actuelle, j’ai la paix du cœur parce que…la nouvelle génération d’artistes ne va plus souffrir comme nous »

Autrefois appelé Petit docteur, il a gravi les échelons et est devenu, depuis maintenant quelques années, Grand Docteur. Lui, c’est Alphonse Sana Kaboré, à l’état civil, l’un des grands défenseurs de la musique reggae au Burkina. Il était l’invité de actuburkina, le 6 août dernier. Les échanges ont porté entre autres sur son actualité musicale, l’impact de la crise sécuritaire sur les activités des artistes, sa vision de la musique burkinabè en général ainsi que sur le récent coup d’Etat survenu au Niger. Interpelé sur ce dernier point, Grand docteur affirme sans détour soutenir ce coup d’Etat et exhorte les nouvelles autorités nigériennes à tout mettre en œuvre pour améliorer les conditions de vie des populations.

Quelle est l’actualité de Grand Docteur qu’on entend de moins en moins ?

Je suis un artiste qui bouge beaucoup mais je suis plus connu dans les provinces qu’à Ouagadougou. C’est ce justifie qu’on ne m’entende peut-être pas beaucoup en ville. Mais depuis trois ans et ce, à cause de l’insécurité, je me suis rabattu sur Ouagadougou ainsi que sur d’autres grandes villes comme Bobo, Koudougou, Gaoua, Kaya, Tenkodogo, etc. Je fais aussi des compositions en fonction de l’actualité et des contextes. Voilà pourquoi j’ai des titres comme « Ma lettre au président », « Politika riibo » et un autre single comme « Barka » (merci) pour être dans le contexte et donner ma vision en faisant des propositions, des critiques pour l’amélioration des conditions de vie des populations.

Vous l’avez bien dit, il y a la crise sécuritaire depuis 2016 dans notre pays. Comment vivez- vous cela. Cela a-t-il un impact sur vos activités artistiques ?

Il faut reconnaitre que cette crise a un impact négatif sur la carrière des artistes comme nous. Auparavant, on faisait des tournées hors de Ouagadougou, dans les campagnes comme on voulait mais cela est devenu pratiquement impossible. Si fait que tous les artistes se sont concentrés sur Ouaga, Bobo, Koudougou, etc.  Vu le grand nombre des artistes, ce n’est pas simple. Cette situation fait qu’aujourd’hui, honnêtement, bien des artistes n’arrivent même pas à honorer leur loyer. Nous qui avons eu la chance de construire, il n’y a pas de soucis à ce niveau mais pour certains, c’est très compliqué. Aussi, la crise a fait que la priorité des Burkinabè, ce n’est plus les loisirs mais la sécurité car tant l’insécurité règnera il n’y a pas la paix du cœur et tant qu’il n’y aura pas la paix du cœur, les gens s’intéresseront moins aux jouissances. Et là il faut l’accepter ainsi ! Ceci pour dire que la situation est dure pour les artistes.

Pensez-vous comme certains que depuis l’avènement du MPSR2, les lignes bougent en matière de lutte contre l’insécurité au Burkina ?

Pour répondre à cette question, il faut reconnaitre que le mal est très profond et on ne peut pas soigner une plaie de 8 ans en seulement 6 mois ou un an. Le mal est tellement très profond que si tu ne suis pas l’actualité, tu ne verras pas les choses positivement, tu ne croiras pas que les lignes bougent alors qu’elles bougent beaucoup. Les nouvelles autorités font le maximum pour que les soldats au front aient du matériel adéquat pour affronter l’ennemi. Ce qui n’était pas le cas avant. En plus de cela, il faut reconnaitre qu’il y a cette volonté de sortir le pays de l’insécurité. Pour nous qui sommes sur le terrain, qui bougeons beaucoup, on a constaté qu’il y a un changement positif. Même si le mal persiste, il y a des efforts qui sont faits par les autorités.

 

L’artiste-musicien Grand docteur

Vous faites la musique depuis 2007 et votre style musical est le Reggae. Pourquoi ce choix et est-ce que ce genre nourrit son homme au Burkina Faso ?

Nous sommes dans un pays où les gens n’aiment pas la vérité. Or, la musique reggae est une musique de dénonciation, de conscientisation donc il est compliqué pour tout artiste reggae man de vivre de son art. Cette situation a fait que beaucoup de mes collègues ont abandonné le reggae pour faire l’ambiance facile ou évoluer dans le tradi-moderne. Généralement, ce sont les opposants qui aiment le reggae parce que les artistes interpellent les tenants du pouvoir à corriger certaines tares de la société. Or, les opposants n’ont pas de grands moyens financiers. Mais quand ils accèdent eux aussi au pouvoir, ils ne veulent plus entendre cette musique de conscientisation. J’ai donc opté pour le Reggae parce que c’est un canal par lequel je peux dénoncer des faits, faire des propositions pour une bonne gouvernance.  Mais pour ce qui est de l’ambiance facile, les gens dansent plus qu’ils n’écoutent le message. Ce qui n’est pas le cas pour le reggae. La parade que j’ai utilisée pour pouvoir vivre de mon art, c’est que je n’attendais pas qu’on m’invite. Si fait que je faisais pratiquement un concert par jour donc 30 concerts dans le mois. En effet, dans les provinces où je m’étais rabattu, là-bas, c’est le bas-peuple, le pays réel, qui aime la vérité, qui aime qu’on dise ce qui ne va pas. Je faisais donc beaucoup de tournées qui m’avaient facilité la tâche et m’ont permis de m’acheter une voiture, construire ma maison, etc, en tout cas de faire pas mal de réalisations qui me sont rentables aujourd’hui.

En 16 ans de carrière musicale, combien d’albums totalisez-vous ?

J’ai trois albums sur le marché et quatre singles. Le premier album a été sorti en 2007, le deuxième en 2012 et le troisième en 2020. J’ai ensuite fait des singles pour rester dans l’actualité en attendant la sortie du quatrième album.

A quand la sortie de ce 4e album ?

Peut-être dans six mois parce qu’il faut bien travailler. Je ne veux pas décevoir mes fans qui ont une certaine confiance en moi.

On le sait, vous êtes bien connu au Burkina, mais qu’en est-il de votre carrière à l’international ?

J’ai eu la chance de côtoyer des grands frères qui sont à l’international comme KPG et d’autres personnes. Entre 2018-2019, j’ai fait une tournée en Côte d’Ivoire où j’ai fait jusqu’à trois lives, notamment à Yopougon, au Palais de la culture de Treichville et à Daloa. Après cela, j’ai été deux fois en France avec KPG pour des tournées et ça m’a ouvert beaucoup d’autres portes et cela m’a permis d’élargir ma vision des choses. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’on ne part pas à l’international pour chercher de l’argent, car l’argent se trouve en Afrique et non en Europe. Et tous les artistes peuvent le témoigner. Tous ceux qui font des tournées en Europe, ne partent pas pour chercher de l’argent. Ils partent pour trouver des ouvertures, avoir des contacts qui vont leur permettre de faire des concerts. Tous ceux qui y sont partis, s’ils acceptent de vous dire la vérité, vous verrez qu’un concert au Burkina où tu as 300 000 F CFA vaut mieux qu’un concert de 1 000 000 de F CFA à l’international. Tous nos frères artistes qui sont dans la tendance ambiance facile qui ont commencé à sortir comme les Floby, Dez Altino, etc. ont besoin d’être accompagnés d’une certaine façon. Aucun artiste parmi eux n’a jamais fait un concert hors du Burkina. Ce sont des prestations alors qu’une prestation ne fait pas de toi un artiste de l’international. Quand ce sont tes frères qui t’invitent en Europe et que tu pars jouer devant un public où il n’y a peut-être que deux blancs et le reste, et le reste de la salle sont des Noirs, c’est comme si tu avais joué chez toi ! Alors qu’il faut arriver à être à un niveau où tu vas jouer, pour des. En ce moment tu serais allé à l’international où ceux qui te découvrent, ne te connaissaient pas. C’est pourquoi j’invite le ministère en charge de la culture à se doter d’une bonne volonté politique afin d’accompagner les artistes. Il y a des artistes qui décrochent des contrats en Europe mais qui ne peuvent pas partir avec toute l’équipe faute de moyens financiers.  Ils se voient alors obligés de laisser certains de leurs danseurs, instrumentistes, etc sur place. Et en ce moment, il part malgré lui. Il faut arriver à dépasser cela. Quand on prend le Burkina Faso, je peux dire qu’il n’y a pas d’artiste international. Quand ils commencent, ils tombent après et viennent rester avec nous ici. Quand on prend le cas des Bil Aka Kora, c’est des stars, des professionnels de la musique. Les Zêdess, les Roger Wango, Alif Naba,  etc qui invitaient des artistes ivoiriens pour faire leur levée de rideau, n’arrivent pas à bien s’imposer à l’international  du fait du manque d’accompagnement. Voilà pourquoi l’Etat burkinabè doit mettre en œuvre des actions pour accompagner les artistes. Il peut décider de choisir par exemple trois artistes dont il fera la promotion sur une période de cinq ans afin que ces derniers aient une assise à l’international et ainsi de suite. Si le ministère de la culture procède ainsi, vous verrez ce que cela va donner. Sinon s’il doit se contenter de lancer un projet dont on dit que c’est pour soutenir les artistes et qu’au finish on vienne remettre 500 000 F CFA à chacun des artistes retenus, c’est comme si on jetait l’argent par la fenêtre. Il faut développer une autre politique culturelle. Tant que ce ne sera pas le cas, on serait là à tâtonner pendant encore des années et on n’aura pas un seul artiste qui pourra représenter le Burkina Faso à l’international comme il se doit.

Quel est votre commentaire sur la musique burkinabè de façon générale ?

 

L’actualité, c’est la situation au Niger qui a connu un coup d’Etat fin juillet et la CEDEAO qui menace les putschistes de rétablir l’ordre constitutionnel en remettant le pouvoir au président renversé Mohamed Bazoum, sous peine d’une intervention militaire dont l’ultimatum a expiré le 6 août dernier. Quel est votre commentaire ? 

En tant qu’être humain, je peux me tromper mais ce qui se passe au Sahel, est énervant. Personne n’aime les coups d’Etat mais il y a certains qu’il faut saluer. Le général Charles de Gaulle a pris le pouvoir par un coup d’Etat mais la France a salué cela et il est même vu en héros aujourd’hui. A un moment donné, il faut que chaque pays prenne ses responsabilités. Depuis 1960, on nous parle de démocratie mais on ne voit pas d’effets positifs. Dans nos hôpitaux, les malades sont toujours couchés à même le sol par manque de lits. Pendant ce temps, nos gouvernants circulent avec des V8, vivent dans un luxe insultant. Donc la démocratie a déçu et le peuple africain a de plus en plus horreur de cette démocratie. Moi je soutiens le coup d’Etat au Niger parce que j’ai l’espoir en un changement politique qui va permettre aux trois pays (Burkina-Mali-Niger) de s’unir pour lutter contre le terrorisme. Quand j’ai entendu l’ultimatum de la CEDEAO d’intervenir militairement, j’ai dit que ça ne va pas arriver parce que je ne vois le Niger être attaqué par des troupes africaines ! A quoi vont-elles penser pour faire cela ? Et puis, depuis que le Niger est en guerre contre le terrorisme et que des Nigériens meurent tous les jours, la CEDEAO n’a pas pu envoyer un seul fusil ou encore des troupes militaires pour aider ce pays à faire face à l’hydre terroriste mais comme il s’agit d’un seul individu qui fait l’affaire de la France, qui lui permet d’exploiter l’uranium pendant que le Niger n’a pas d’électricité et doit sa survie grâce au Nigeria, on dit qu’il faut intervenir.  Mais c’est la force qu’on veut faire à ce pays et cela ne doit pas passer. Aujourd’hui, la France ne peut rien faire pour sortir de la situation dans laquelle elle se trouve. Elle est en train de récolter ce qu’elle a semé. Je salue ce coup d’Etat et j’encourage les nouvelles autorités à tout mettre en œuvre pour changer les conditions de vie des Nigériens. On ne peut pas admettre qu’un pays comme le Niger, n’ait pas de courant. C’est une honte !

 Un message à l’endroit de vos fans ?

 

Entretien réalisé par Colette DRABO

 

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