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Dramane Ouédraogo, réalisateur du film « Malla, aussi loin que dure la nuit » : « Il faut que l’Etat subventionne l’ISIS pour permettre à ceux désirant se former dans les métiers du cinéma, de le faire »

D’acteur-comédien où il a consacré plus d’une dizaine d’années de sa vie, il a décidé de passer à une autre étape à savoir la production et la réalisation. 2020 marquera le début de cette nouvelle aventure d’où naitra le film « Malla, aussi loin que dure la nuit ». Un premier film qui a remporté le grand prix du président du Faso de la meilleure révélation au FESPACO 2023 . Vous l’aurez certainement deviné, il s’agit de Dramane Ouédraogo, réalisateur du film « Malla », qui est l’invité de actuburkina, cette semaine. Dans cet entretien, l’invité revient, de sa « petite expérience » sur les difficultés que rencontrent les réalisateurs burkinabè. Il se prononce également sur le cinéma burkinabè et africain et invite les cinéphiles burkinabè à s’inscrire dans la dynamique du gouvernement qui encourage le consommons local, en clair à soutenir le cinéma burkinabè en fréquentant les salles de ciné.  

Combien de films avez-vous à votre actif et combien d’années dans la réalisation ?

En tant que réalisateur, j’aime me définir en tant qu’apprenant parce que je suis à ma première réalisation sans formation aucune dans le métier de la réalisation. C’est le premier film qui est pour moi, en même temps, l’école de réalisation que je suis en train de faire parce que je m’entoure de professionnels qui m’apprennent certaines choses et j’apprends ainsi le métier. Dans la réalisation, je me dis que je suis encore très jeune parce que c’est en 2020 que j’ai commencé en tant réalisateur du film « Malla, aussi loin que dure la nuit » mais en tant qu’acteur-comédien, j’ai plus de dix ans de carrière.

Votre film « Malla » était en salle jusqu’au 7 janvier au Ciné Neerwaya. De quoi parle-t-il ?

En général, quand on me demande de quoi parle le film, j’aime plutôt dire ce qui m’a poussé à créer ce film. Tout est parti des réseaux sociaux. Un matin, je décide comme tout le monde de me connecter pour voir ce qu’il y a comme actualités. En parcourant, je remarque que je tombais beaucoup sur des portefeuilles magiques qu’on me proposait. Ce jour, je suis tombé au moins sept fois sur cette histoire de portefeuille magiques.  Je me suis dit mais comment quelqu’un peut proposer de m’offrir un portefeuille magique où j’aurai des millions de FCFA par jour et lui ne demande que 50 000FCFA pour faire le travail. J’ai alors fait des recherches et je me suis rendu compte que le portefeuille magique existe vraiment mais derrière, il y a des choses qui ne sont pas dites ; c’est comme un appât qu’on lance et dès lors que vous mordez à l’hameçon, ils vous donnent toutes les conditions que vous êtes obligé de suivre parce que vous n’aurez plus le choix de reculer ou vous perdez carrément la vie. Toutes les recherches m’ont amené à me rendre compte que quand vous vous lancez dans cette aventure, vous n’êtes pas la seule personne en danger mais tout votre entourage, toute votre famille est en danger. Je me suis dit qu’il serait bien de faire un film parce que Facebook autorise aujourd’hui aux enfants, dès l’âge de 13 ans, à avoir un compte. Nous qui sommes d’un certain âge avons un esprit averti mais ce n’est pas forcément le cas chez le jeune frère ou la jeune sœur de 13 ans, abonné aux comptes des influenceurs, des artistes-musiciens, bref des stars pleines aux as, leur montrant qu’il est bon d’avoir de l’argent sans leur faire comprendre comment souffrir pour avoir de l’argent. Je me suis dit que ces jeunes frères qui verront ces portefeuilles magiques ne seront-ils pas tentés de céder avec toutes les conséquences qui peuvent survenir pour eux et leur famille ? Voici les raisons qui m’ont poussé à écrire ce scénario, pour essayer de donner des conseils à nos jeunes frères sur le piège qui se cache derrière ces histoires de portefeuilles magiques.

Après ces projections en salles, quels sont les échos qui vous parviennent concernant le film ?

Honnêtement nous avons la satisfaction morale. 90 à 98% des cinéphiles qui arrivent à tenir jusqu’à la fin du film l’apprécient positivement. Je dis tenir jusqu’à la fin parce que c’est un film qui est fort en émotions, dur à supporter et toux ceux qui arrivent à supporter jusqu’à la fin, sortent satisfaits de la salle de cinéma. Il est vrai qu’en ce moment, l’engouement dans les salles n’est pas tout à fait ça vu le contexte que le pays traverse, sans oublier aussi le froid et d’autres facteurs qui font que beaucoup préfèrent rester à la maison mais, dans l’ensemble, beaucoup de cinéphiles ont vraiment aimé le film. Il y a même des cinéphiles qui sont venus plus de trois fois voir le film. Pour dire que quelque part qu’il est bien apprécié.

Quels sont les projets pour « Malla » au Burkina et hors des frontières du pays ?

On attend des festivals. On voulait l’exploiter en salle d’abord et après les festivals. Depuis le FESPACO, on ne l’a pas encore proposé à un festival mais on va tenter les projections dans des pays de la sous-région où nous avons des contacts. Comme c’est la première production, on ne maitrise pas encore tous les contours de la chose donc on va essayer déjà avec les contacts que nous avons.

    En tant que jeune réalisateur, quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confronté ?

Etant à ma première expérience en tant que réalisateur, je doute de pouvoir donner toutes les difficultés que les réalisateurs rencontrent dans le métier du cinéma mais je peux dire, de ma petite expérience, que le plus gros problème est celui du budget parce que le cinéma coûte cher. Un film, ce sont des millions et des millions de FCFA. Quand on n’a pas les fonds qu’il faut pour faire un film, on est obligé de jouer sur le matériel. Côté  images et sons, il y a le high level et il y a le matériel de qualité inférieure. C’est en fonction de votre bourse que vous choisirez le matériel dont vous avez besoin et cela ne garantit pas forcément la qualité en images encore moins en sons. C’est la même chose aussi pour les acteurs, les interprètes. Quand vous voulez par exemple un comédien comme GSK, Halidou Pagnangdé ou Désiré Yaméogo, il vous faut quand même un budget.  Il est vrai que par moments, ce sont des ainés très compréhensifs qui acceptent d’accompagner les jeunes mais pour leur faire appel sur un projet, il faut être financièrement posé et, malheureusement, quand on n’a pas assez de moyens, on est gêné de les appeler et on est obligé de se tourner vers des comédiens qui ne rendront pas forcément comme ce que l’expérimenté aurait fait. Donc, c’est le problème financier que je mettrai en avant.  Après cela, il y a le problème de formation. Il est vrai que l’Institut supérieur de l’image et du son (ISIS) existe mais la formation n’est pas à la portée de tout le monde. Du coup, cela fait qu’on est nombreux à se lancer comme ça dans le domaine sans passer par cette prestigieuse école qui a formé pas mal de techniciens qui font notre fierté au Burkina et même dans d’autres pays.   Si aujourd’hui nous avons beaucoup d’enseignants en anglais, en français, en maths, etc, c’est bien parce que l’université de Ouagadougou est subventionnée pour les nationaux.  Si fait que tous ceux ayant le BAC et désirant poursuivre leur cursus, peuvent s’inscrire dans cette université et sortir après avec des diplômes.  Et ces jeunes diplômés reviennent après remplacer leurs enseignants, et la chaine continue. Dans le même sens, il faut que l’Etat subventionne l’ISIS pour permettre à ceux désirant se former dans les métiers du cinéma, de le faire et cela va permettre d’avoir beaucoup de professionnels dans le métier, toute chose qui contribuera à améliorer énormément la qualité de nos productions dans les années à venir.

« Il y a beaucoup de paramètres  qui font que les salles sont de plus en plus désertes »

 

On constate que les salles de ciné sont de plus en plus désertes. Comment expliquez-vous cela ?

Chacun a son point de vue sur le sujet. Mais je pense que beaucoup de facteurs entrent en jeu. Au départ, les entrées étaient à 1 000FCFA mais aujourd’hui c’est passé à 2 000 FCFA. Cela peut être une des explications. Il y aussi le fait qu’à un moment donné, nos salles étaient remplies de films de piètre niveau servis à la clientèle donc certains étant déçus, ne sont plus prêts à revenir dans une salle de cinéma. En ce moment, les salles de ciné peinent à gérer leur personnel et leurs taxes, ce qui fait que quand la clientèle n’atteint pas un certain nombre, il est difficile pour eux de projeter un film. Cela se comprend parce qu’il y a l’électricité, la climatisation, les projecteurs à mettre en marche, etc. Un client peut quitter très loin venir pour une séance et s’ils se retrouvent en nombre réduit et qu’on leur dit qu’on ne pourra pas projeter le film, quand il repart, ce n’est pas sûr qu’il revienne encore. Donc il y a beaucoup de paramètres  qui font que les salles sont de plus en plus désertes et on espère qu’à l’avenir, beaucoup d’actions seront entreprises pour que tout cela soit résolu.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du cinéma dans la région ouest-africaine notamment dans les pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ?

Je pense qu’il n’y a pas de secret. La Côte d’Ivoire, si elle a atteint ce niveau, c’est dû au fait qu’il y a eu un fonds national pour soutenir le cinéma ivoirien, il en est de même pour le Sénégal. Dernièrement, le fonds au Sénégal devrait passer à deux milliards de FCFA, si je ne me trompe. Au Burkina, on n’avait malheureusement pas un tel fonds mais ces dernières années, le gouvernement a fait un effort pour que les cinéastes puissent avoir un fonds pour préparer leurs projets dans le cadre du dernier FESPACO. On entend dans les coulisses que ce fonds pourrait être pérennisé et c’est ce qu’il nous faut d’ailleurs.  Il nous faut de l’argent pour pouvoir faire des films, et cela n’est un secret pour personne. Dans la sous-région, ce n’est pas trop le dire, le Burkina n’a rien à envier en termes de comédiens, de techniciens, etc, aux autres pays voisins où je sais que nos techniciens sont très souvent sollicités.

 Certains estiment que les acteurs burkinabè sont moins rémunérés que leurs confrères d’autres pays. Confirmez-vous cela ?  

Je le confirme et le reconfirme. Je suis à la base un acteur et je connais pas mal d’acteurs de cinéma notamment des doyens qui rencontrent des difficultés financières pas possibles, ce qui n’est pas forcément le cas dans les autres pays. Mais je pense que tout cela renvoie au problème de fonds dont j’ai évoqué plus haut. Quand vous n’avez pas de fonds, pas assez d’argent pour faire un film, vous ne pouvez pas bien payer les techniciens, les comédiens, alors que s’ils ne sont pas bien payés, il va de soi qu’on ressente cela. Si le problème de fonds est résolu, les acteurs, les techniciens, etc, pourront être mieux traités. Ils seront enviés comme on envie certains acteurs, techniciens d’autres pays qui ne sont pas souvent plus forts que ceux que nous avons ici. C’est le traitement qui diffère.

 Quel est votre commentaire sur la qualité des films réalisés par les Burkinabè ?

C’est une question difficile à répondre parce qu’en ce qui concerne notre cinéma, il y a ces techniciens qui ont fait l’école du cinéma, notamment à l’ISIS et qui sont sortis avec une certaine connaissance. Quand ces derniers font un film, côté qualité, il n’y a rien à dire. Il y aussi ceux qui se sont formés sur le tas et qui essaient de faire leurs premiers pas. C’est là qu’on retrouve des films de mauvaise qualité soit au niveau de l’image, du son, du scénario, du dialogue, etc. Mais dans l’ensemble, nous sommes complémentaires parce que ceux qui se sont formés dans les écoles de cinéma savent que sans argent, ils ne peuvent pas faire un bon film. Du coup, ils sont très lents dans la production, ils peuvent faire 2, 3 voire 4 ans sans faire de film. Alors que le cinéphile burkinabè a besoin de voir des films burkinabè. Du coup, c’est ceux qui se sont formés sur le tas qui n’ont pas de complexe avec les erreurs, qui produisent beaucoup pour que le cinéphile burkinabè ait un film et puisse s’identifier. Faut-il alors rejeter ceux qui font leur film avec beaucoup d’erreurs et moins de qualité, ou simplement les accepter en leur donnant les conseils nécessaires pour qu’ils s’améliorent au fur et à mesure ?   Côté qualité, il faut reconnaitre qu’il y a des films de mauvaise qualité sur tous les plans, d’autres peuvent être de mauvaise qualité côté scénario mais avec de belles images, de bons sons, etc.  Mais je pense que c’est toute cette mosaïque qui fait la beauté de l’art.

 

« Il y a des films américains qui, dès qu’ils font leur première sortie, les maisons de production rentabilisent. Il faut qu’on arrive à ce niveau au Burkina »

 

Selon vous, que peuvent faire les autorités pour que le cinéma burkinabè soit compétitif sur le continent ?

Je dirai que déjà, bien des choses sont en train d’être faites, notamment la création du secrétariat technique du Centre national de la cinématographie et de l’audiovisuel (ST/CNCA). Il y a aussi qu’au niveau de notre ministère de tutelle, des actions sont en train d’être menées pour booster le cinéma burkinabè. Mais quoi qu’on fasse, on sera toujours confronté au même problème de financements parce que quels que soient les textes qui vont sortir, tant qu’il n’y aura pas de financements, on ne pourra pas faire de beaux films. Par exemple, pour louer une caméra à 100 000 ou 200 000FCFA par jour, un texte ne peut pas vous permettre de louer une caméra, il faut de l’argent. Pour faire appel à un comédien d’un certain niveau, ce n’est pas le texte qu’il va regarder mais son cachet. Donc pour moi, la mise en place d’un fonds sera très salutaire. Mon film « Malla » a bénéficié de l’accompagnement du ministère en charge de la culture alors que j’étais à mon premier projet et j’ai salué cela parce qu’au départ, quand je soumissionnais, je le faisais pour la forme parce que je me disais que c’était mon premier projet et que tout le monde savait que je n’avais pas fait l’école de cinéma, que je n’étais qu’un acteur qui était en train de s’essayer à la réalisation. Heureusement, une équipe de professionnels a été mise en place pour étudier les films qui ont soumissionné et mon film a été retenu. Cela m’a réconforté pas seulement parce que j’ai bénéficié du fonds pour le finaliser mais parce que qu’on a regardé la qualité. Car après le financement, j’ai bouclé le film et je l’ai envoyé au FESPACO où il a obtenu le prix de la meilleure révélation. C’est dire que depuis le CNCA, ils ont détecté le projet et ont décidé de l’accompagner. Cela est d’autant plus réconfortant de savoir qu’on ne donne plus les financements par affinité mais parce qu’un tel ou tel autre projet mérite d’être accompagné. Je voudrais à travers votre micro, traduire mes remerciements au ST/CNCA qui a fait un travail professionnel et qui nous a permis de sortir la tête un peu de l’eau.

Vos vœux à l’orée de ce nouvel an à l’endroit des Burkinabè et des cinéphiles…

Je souhaite une bonne année à tous les Burkinabè. Mon message est que les cinéphiles essaient d’entrer dans la dynamique du gouvernement qui consiste à consommer burkinabè. Aujourd’hui, si on parle du cinéma nigérian, c’est parce que les Nigérians vont en salles. Il n’y a pas d’autre secret. Quand le Nigeria commençait avec son Nollywood, les Nigérians ont adhéré c’est pourquoi cela a pris. C’est la même chose avec Hollywood, Bollywood. Il y a des films américains qui, dès qu’ils font leur première sortie, les maisons de production rentabilisent. Elles arrivent à entrer en possession de l’argent qu’elles ont investi. Il faut qu’on arrive à ce niveau au Burkina. Cela fera en sorte que les producteurs auront moins peur d’investir dans un film. Quand tu investis ton argent pour faire plaisir aux cinéphiles et que tu sais que tu vas récupérer cet argent après, il n’y a pas de crainte. Mais ce n’est pas le cas ici. Si je prends l’exemple de mon film Malla, 80 à 90% des cinéphiles qui viennent en salle l’ont aimé même s’il n’est pas parfait comme toute œuvre humaine, mais quand même il y a de la matière. Mais on n’aura même pas 10% de ce que nous y avons injecté, à travers les projections. Si c’est le cas, pour le prochain film, on se verra obligé de revoir à la baisse le budget car si tu as injecté 50 millions de FCFA et que tu n’as pas pu rentabiliser, tu mettras peut-être 5 millions si c’est ce que tu as pu avoir. Mon message est d’inviter les cinéphiles à faire un effort en venant voir les films projetés en salles. Il est vrai que ce n’est pas facile surtout si tu viens trouver un film qui ne méritait même pas qu’on fasse le moindre effort mais c’est le soutien d’ensemble qui permettra à notre milieu de bouger. Faites l’effort et venez soutenir le cinéma burkinabè et la bonification viendra au fur et à mesure.

Propos recueillis par Colette DRABO

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