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Damis Ouédraogo au chef de l’Etat, Ibrahim Traoré:  » Le manque de cohésion de l’armée expliquent en partie nos difficultés dans la lutte contre le terrorisme »

Ceci est une lettre ouverte du journaliste Adama Ouédraogo dit Damiss adressée au chef de l’État, le capitaine Ibrahim Traoré. Lisez pour en savoir davantage!

Lettre ouverte à Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat,

Avant tout propos, je voudrais vous féliciter pour votre volonté, votre engagement et votre détermination à lutter contre les groupes armés afin de ramener la paix, la quiétude et la stabilité indispensables au développement du Burkina Faso.

Je voudrais, cependant,  Monsieur le Président,  partager avec vous mes  préoccupations quant à la conduite de la Transition.

Lors  de votre séjour de 48 heures à Kaya, vous avez tenu un discours fort applaudi. A la suite, les réactions que j’ai entendues ou lues ça et là au sein  de l’opinion m’inquiètent sérieusement.

C’est pourquoi, je voudrais vous demander de réduire au strict minimum  vos discours à l’exemple du Colonel Assimi Goita qui laisse son Premier ministre bavarder à longueur de journée pour, entre autres, mobiliser le peuple malien,  faire la bagarre avec les partenaires, amuser la galerie et distraire l’opinion nationale et internationale.

Je dis cela parce qu’à  chacune de vos  sorties médiatiques,  vous avez tendance à jeter systématiquement l’anathème sur les hommes politiques y compris vos prédécesseurs en ces termes :  » Qu’ont-ils fait pour ce pays… ».

Oui  de 1960 à aujourd’hui les gouvernements successifs ont peut-être failli car ils auraient pu faire mieux. Cependant, ce n’est pas juste  de  soutenir qu’ils n’ont rien fait.

Prenez les indicateurs dans plusieurs domaines de 1960 à nos jours. Quel était par exemple  l’état du réseau routier? Quelle est l’évolution des statistiques sur la santé, notamment les infrastructures et le personnel soignant?  Quel était le niveau de vie du Burkinabè de 1970 et  celui de 2020 ?

En d’autres termes, combien de voies ont été bitumées? Combien d’écoles, de dispensaires et de centres médicaux  avec antenne chirurgicale ont été construites ? Quels sont les chiffres sur les performances économiques des régimes successifs ?

Sur le plan des ressources humaines, le Burkina Faso avait-il autant de médecins, d’ingénieurs, d’officiers de l’armée, de banquiers et d’opérateurs économiques qu’aujourd’hui ? En dehors d’El hadji Oumarou Kanazoé qui s’est lancé dans le business depuis les années 70,  le Burkina Faso avait-il des hommes d’affaires de la trempe de Mahamadou Bonkoungou dit EBOMAF, Idrissa Nassa, Lassiné Diawara, Appolinnaire Compaoré,  Inoussa Kanazoé, Moussa Kouanda, Nana Boureima pour ne citer que ceux-là ?

Les hommes d’affaires que je viens de citer peuvent être considérés comme des champions dans leurs domaines respectifs. Beaucoup de pays de la sous-région ne réunissent pas autant d’hommes à  succès dans différents secteurs d’activités.

Cela a été possible grâce à l’ouverture d’esprit des dirigeants et aux politiques mises en place pour la promotion du secteur privé, toute chose qui a favorisé l’éclosion du génie de ces grands messieurs qui font la fierté du Burkina Faso.

Et ce n’est pas rien. Pour preuve, grâce à EBOMAF, à sa banque et à son carnet d’adresses, votre gouvernement qui peinait à mobiliser les ressources pour acquérir des moyens militaires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme,  a pu trouver des solutions.

Du  reste, c’est la politique d’un gouvernement passé qui vous a permis de vous inscrire à l’Université. Ailleurs, il y a des bacheliers qui n’ont pas la chance de s’inscrire au niveau supérieur.

C’est encore la politique d’un gouvernement qui a permis que vous puissiez être recruté dans l’armée à partir de l’Université pour devenir aujourd’hui Chef de l’Etat suite à un coup d’Etat en utilisant des armes et des munitions  achetées par des hommes politiques qui géraient le pouvoir d’Etat.

Rappellons d’ailleurs que c’est le Premier ministre d’alors Luc Adolphe Tiao qui vous a remis vos épaulettes de sous-lieutenenant  à la fin  de votre formation à l’Académie militaire Georges Namoano à Pô en 2012.

Par ailleurs, l’idée et le projet des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) viennent d’un officier supérieur de Gendarmerie qui a convaincu  le Président Roch Marc Christaian Kaboré pour en faire une arme de lutte contre le terrorisme. Et c’est sur ces VDP mis en place par le pouvoir civil du MPP que vous comptez aujourd’hui pour gagner la guerre.

Enfin, le Burkina Faso a connu une longue période de stabilité et cela grâce à des femmes et des hommes qui ont servi ce pays. Ça, ce n’est pas rien. Et rien ne vaut la paix, la stabilité et la quiétude des populations.

Vous tenez certes un discours plein d’émotions  qui peut être mal interprété avec des conséquences dommageables.

Et vous n’avez pas certainement tous les éléments de la grille d’analyse au point que vous faites des déclarations péremptoires comme si par un coup de bâton magique vous pouvez changer l’ordre du monde en faisant du Burkina un pays industrialisé.

Demandez à Inoussa Kanazoé quelles ont été les difficultés qu’il a rencontrées pour mettre en place son usine de ciment. Demandez à Moussa Kouanda, quelles ont été ses difficultés dans la mise en place de son usine de production de panneaux solaires.

Vous comprendrez que les mots seuls ne suffisent pas et qu’il faut des politiques hardies et un environnement international favorable pour réussir certaines initiatives.

Du reste  votre discours laisse entrevoir en filigrane que vous avez des projets et des ambitions à long terme pour le Burkina Faso. Vous êtes jeune, vous êtes fougueux, vous avez la rage de vaincre, c’est très bien et je prie Allah, en ce mois béni de Ramadan afin qu’il vous bénisse,  vous protège et vous aide pour un succès total et éclatant.

Cependant, du haut de ma petite expérience d’observateur de la scène sociopolitique du Burkina Faso, je puis vous dire que, comme le dit Joseph Ki Zerbo,  qu’un vieux assis voit plus loin qu’un jeune  debout.

Je vous exhorte donc à vous concentrer sur l’objet de votre prise de pouvoir le 30 septembre 2023 : la lutte contre le terrorisme et de travailler à l’atteinte des objectifs de la Transition tels que définis et inscrits dans la Charte ; l’objectif ultime de la Transition étant le retour à l’ordre constitutionnel avec l’organisation d’élections transparentes, équitables et crédibles.

Et l’histoire retiendra qu’un jeune capitaine trentenaire a géré le Burkina Faso de main de maître et sous son magistère le pays a fait reculer et même vaincu l’hydre terroriste.

Le Président Roch  Kaboré  était adulé et drainait une foule de partisans et de sympathisans

Votre principale force, ce sont  les armes que vous détenez. Le reste c’est de l’illusion, croyez-moi. Les peuples sont très versatiles.

Ils applaudissent quand vous arrivez au pouvoir et applaudissent quand vous en redescendez. Le peuple est ondoyant. Il n’y a pas longtemps, le Président Roch Marc Christian Kaboré  était adulé et drainait une foule de partisans et de sympathisans.

Où sont-ils aujourd’hui ? En dehors de quelques-uns qui osent encore défendre le bilan du pouvoir MPP, la plupart des militants et soutiens ont,  soit retourné leur veste ou rasent les murs. Votre prédécesseur en exil au Togo Paul Henri Sandaogo Damiba a aussi  quelques soutiens tenaces qui continuent de ruer dans les brancards, mais le gros lot, s’est muré dans un silence assourdissant ou a rejoint le MPSR 2 avec femmes, enfants et bagages.

Par ailleurs, vous avez raison quand vous dénoncez les communications qui sont de nature à faire le jeu des terroristes. Mais plutôt que d’interpeller et de sensibiliser, vous tenez des propos susceptibles d’être mal interprétés et créer des désagréments au sein de la population.

Vous avez un auditoire qui peut ne pas comprendre et s’adonner à des interprétations à même de mettre à rude épreuve le vivre-ensemble. Depuis votre discours de Kaya, des Burkinabè sont désignés comme des terroristes parce qu’accusés de faire des publications sur les attaques terroristes contre nos forces de défense et de sécurité.

Cela peut entraîner des dérives. Or ce n’est ni votre souhait ni votre intention. Vous voulez simplement dire que tous les Burkinabè doivent s’unir face au terrorisme et éviter des attitudes qui non seulement minimisent les efforts de l’armée mais également contribuent à la communication des terroristes. Mais votre manière de faire n’est pas propice à mon sens.

Nous avons une justice qui fonctionne à plein régime malgré les moyens dérisoires pour une bonne administration de l’appareil judiciaire. Si vous estimez qu’il y a des compatriotes qui communiquent pour les terroristes, il vous appartient de saisir le Procureur à travers la Garde des sceaux.

Seul le Procureur est compétent pour apprécier du point de vue de la loi et ordonner des poursuites. En dehors de ce cadre, vous risquez de dresser des Burkinabè contre d’autres Burkinabè, de soulever une partie des Burkinabè contre d’autres Burkinabè, de diviser le Burkina Faso en deux camps: les patriotes et les apatrides.

L’histoire de l’humanité est remplie d’exemples sur des drames humains nés de cette conception des choses. Sous le Conseil national de la révolution (CNR)  de  Thomas Sankara, on a divisé les Burkinabè en deux catégories: les révolutionnaires et les réactionnaires.

Autrement, les patriotes et les ennemis du Burkina Faso ou encore les insurgés et les non insurgés comme on l’a vu pendant l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 et qui a contribué à fragiliser la cohésion sociale.

Un aîné m’a raconté une anecdote sous la Révolution: le chien de son voisin a été abattu par des CDR au motif qu’il a aboyé pendant qu’on chantait l’hymne national burkinabè.

Il a été considéré comme un chien réactionnaire et traité comme tel: tué et jeté dans la marmite pour la soupe des CDR qui raffolent de la viande de  chiens. Voyez-vous jusqu’où peuvent aller les dérives?  Même les animaux sont traqués.

C’est pourquoi, il faut laisser le soin à la justice de s’occuper de la question des communications que vous mettez en cause.

Nulle part dans votre discours de Kaya, en tout cas à ma connaissance, vous n’avez pris le soin de dire que la justice sera saisie.

Cela donne l’impression que vous allez vous substituer au magistrat pour vous occuper de ceux qui sont accusés d’être les communicants des terroristes.

Vous êtes certes le premier magistrat du pays mais la loi ne vous donne aucun pouvoir de  poursuite d’un citoyen Vous n’êtes  ni procureur ni substitut du procureur.

Par contre la Constitution, loi suprême du pays, vous donne le pouvoir de grâce et d’amnistie,  c’est-à-dire le pouvoir de  pardonner les comportements délictieux des vos compatriotes.

Cela fait partie des valeurs de notre société: un chef est une poubelle, il supporte tout, il est un homme de pardon. Il appartient aux institutions de la République de sévir et en dernier ressort, vous jouez votre rôle de Père de la Nation qui peut décider de pardonner les errements des enfants de la République.

Vous devez avoir un discours de rassemblement et non un discours qui va amener les Burkinabè à s’accuser mutuellement, à se détester, à se haïr et à se déchirer.

Personne ne doit faire le jeu des terroristes

Autant certaines communications, comme vous le dites, sont favorables aux groupes armés terroristes  autant vos propos font le jeu des terroristes parce que l’un des objectifs des terroristes c’est justement de créer la division au sein de la société burkinabè, de dresser des Burkinabè contre des Burkinabè, de mettre en mal la cohésion sociale et d’entretenir le conflit permanent entre les filles et les fils du Burkina Faso.

A ce propos, un proverbe dit  le lézard ne pénètre que là où il y a des fissures. Ce n’est pas votre intention, loin de là mais nous sommes dans un contexte où la parole du chef pèse lourd, une mauvaise interprétation peut jeter l’huile sur le feu.

Et c’est ce que nous commençons à vivre depuis votre discours de Kaya. Des noms sont cités, des menaces, injures et intimidations sont proférées à leur endroit.

Quand la pluie vous bat, il faut éviter de vous battre. C’est notre désunion qui favorise le terrorisme.

C’est les frustrations et le manque de cohésion au sein de l’armée qui expliquent en partie nos difficultés dans la lutte contre le terrorisme. Quand il y a un péril en la demeure, nous devons nous unir ou œuvrer pour l’union sacrée des Burkinabè.

Autant je vous interpelle sur le poids et la portée de vos mots autant je lance un appel à tous les acteurs de la scène sociopolitique pour une communication responsable.

C’est le Procureur du Faso qui décide de l’opportunité des poursuites

En tout état de cause, il appartient au Procureur du Faso seul, de décider de l’opportunité des poursuites. Autrement on tombe dans l’abus de pouvoir.

Le Burkina Faso n’a pas commencé par vous. Il y a eu des hommes et des femmes qui ont géré le pouvoir d’Etat avant vous et il y en aura après vous. En d’autres termes, les hommes passent. Seul Dieu est Eternel.

Je vous prie, Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat, de croire à l’assurance de ma très haute considération.

Adama Ouédraogo dit Damiss

Journaliste

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