Dans son rapport intitulé « Dirty diesel » (en français « Sale gasoil »), publié jeudi, l’ONG suisse Public Eye décrypte les pratiques contestables des grands négociants suisses de carburants dans leurs activités en Afrique subsaharienne et leur impact sur la santé. L’essence et le diesel distribués par Vitol, Trafigura, Addax & Oryx Group (AOG) et Lynx Energy sont au cœur de ce rapport.
Selon l’ONG, anciennement nommée « La Déclaration de Berne », qui a enquêté dans huit pays africains (dont la Côte d’Ivoire, le Mali, le Congo-Brazzaville, et le Sénégal), la pollution observée dans les mégapoles du continent est liée en grande partie à la forte teneur en sulfure dans le gazole et l’essence commercialisés par ces traders – dont Vitol, Trafigura, Addax & Oryx Group (AOG) et Lynx Energy – qui dominent le marché africain à travers leurs filiales de distribution de carburant.
« Ce diagnostic du caractère nocif de la forte teneur en sulfure des carburants est partagé par de nombreux scientifiques, donc les experts du Programme des Nations Unies pour l’environnement [UNEP] », précise Géraldine Viret, de Public Eye, basée à Lausanne. « Dakar et Lagos ont déjà une qualité de l’air plus mauvaise que Pékin », rappelle-t-elle.
L’investigation conduite par l’ONG a duré trois ans. En récupérant à la pompe différents carburants vendus dans les huit pays couverts par les traders suisses, et analysés par un laboratoire indépendant, Public Eye a mis en évidence dans les deux tiers des gasoils africains testés une teneur en sulfure au moins 150 fois plus élevée (1500 partie par million [ppm]) que la limite autorisée en Europe (10 ppm), concentration très dommageable pour la qualité de l’air et pour la santé des habitants.
Le tableau n’est guère plus réjouissant pour l’essence, avec environ la moitié des échantillons testés présentant une teneur en sulfure équivalente à 15 à 72 fois la limite européenne.
Public Eye a également trouvé dans ces carburants africains la présence en quantité importante de poly-aromatiques et aromatiques — des particules naturellement présentes dans le brut—, ainsi que du benzène dans des proportions qui seraient interdites en Europe et aux Etats-Unis.
Selon le rapport, ces carburants vendus par les Suisses sont expédiés pour plus de la moitié depuis les ports d’Amsterdam, de Rotterdam et Anvers, dans l’Union Européenne. La préparation de carburants à haute teneur en sulfure – dangereuse pour la santé des subsahariens en raison de l’absence de normes contraignantes en la matière – est tellement ancrée dans les mœurs des négociants suisses que ceux-ci ont pris l’habitude d’appeler ce type de carburant « African quality fuel » (« carburant de qualité africaine »), relève Public Eye.
Public Eye n’a toutefois pas testé les carburants d’autres grands distributeurs non-suisses, en particuliers ceux de Total, le leader sur le continent, avec environ 20% des volumes écoulés.
L’ONG suisse, qui démarre une campagne sur le thème des carburants en Afrique, veut pousser les gouvernements africains à instituer des normes sur les composants dangereux pour la santé comme le sulfure, afin de mettre un terme à ces pratiques, véritables bombe sanitaires à retardement.
Quant aux grands traders suisses actifs en Afrique, tel Trafigura, qui veut redorer son blason social et environnemental écorné par l’affaire de pollution du Probo Koala à Abidjan en 2006, Public Eye espère que la pression publique et médiatique les poussera à améliorer la qualité de leur carburant avant même que les réglementations n’évoluent.
Les négociants mis en cause n’ont pas encore réagi aux conclusions de ce rapport à la date de sa publication.
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