Marie-Madeleine Mborantsuo et ses condisciples de la Cour constitutionnelle du Gabon en conclave d’homologation des résultats de l’élection présidentielle du 27 août dernier, auront réussi le pari de faire durer le suspense jusqu’au bout. Disposant, aux termes de la loi électorale, de deux semaines pour vider les contentieux électoraux et valider le scrutin, ils sont allés jusqu’à l’extrême limite du délai imparti. Peut-être faut-il lire dans cette longue durée du huis clos des 9 magistrats, ouvert in extremis aux experts de l’UA, l’âpreté de la tâche, mais surtout les enjeux d’un scrutin controversé dont la proclamation des résultats par le ministre de l’Intérieur, à l’issue des travaux de la Commission électorale, avait suffi pour mettre le feu aux poudres. « Mais quelle que soit, dit-on, la durée de la nuit, le jour finit par se lever ». Jour-J donc pour le verdict tant attendu, mais tout aussi redouté du fait qu’il pourrait être le détonateur d’une puissante conflagration sociopolitique dans le pays, dont l’atmosphère est déjà des plus sulfureuses. Ce serait donc faire preuve d’euphémisme que de dire que c’est le vendredi de tous les dangers pour le Gabon. Déjà, à la veille de la date butoir, la tension est montée d’un cran. Du côté du pouvoir, signe palpable de ce regain de tension, ce sont les crocs bien au dehors du gouvernement.
Dans le camp de l’opposition, c’est la veillée d’armes
Ce mercredi, les ministres de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et de la Communication ont donné, sur un ton des plus musclés, une conférence de presse conjointe pour mettre en garde Jean Ping et les responsables de l’opposition. Le message est on ne peut plus clair : le gouvernement et les forces de défense et de sécurité ne tolèreront pas une quelconque tentative de déstabilisation des institutions après la proclamation des résultats définitifs. Accusant l’opposition d’ourdir un processus insurrectionnel de type militaire, c’est, à la limite, la menace d’un déluge de feu que le ministre de la Défense fait planer sur la tête des opposants en cas de troubles. Jean Ping, particulièrement, est, à se référer aux propos du ministre de la Communication, ouvertement sous la menace d’arrestation en cas de nouvelles violences à l’issue de la proclamation du verdict. Dans le camp d’en face, en l’occurrence celui de l’opposition, c’est aussi la veillée d’armes et l’on fait planer la menace d’une saisine de la Cour pénale internationale (CPI). Déjà, la Justice française a été saisie de deux plaintes visant le pouvoir et déposées par un collectif d’avocats « pour arrestations et détentions arbitraires en bande organisée, tortures et actes de barbarie en bande organisée, tentative d’assassinat et crimes contre l’humanité ». En attendant que montent de l’âtre du blockhaus d’architecture turque situé en front de mer où siège la Cour constitutionnelle, les volutes entortillées de la fumée blanche annonçant l’élection du nouveau président, sans jouer au charlatan, l’on peut se risquer à dire, au regard de la sortie des membres du gouvernement, que la victoire d’Ali Bongo Odimba est actée et que l’on prépare les esprits à l’accepter. Le contraire, en tout cas, aurait de quoi scier le souffle, car au-delà des atomes crochus entre la présidente de la Cour constitutionnelle et la dynastie des Bongo, dans l’histoire récente du continent, exception faite du Niger et plus récemment des Comores, aucune Cour constitutionnelle n’a eu suffisamment de poigne pour remettre en cause l’élection des princes régnants.
Les risques d’embrasement de la rue sont énormes
Les juristes de l’UA dépêchés à Libreville, n’auront servi que de faire-valoir pour cautionner les résultats et rendre la potion moins amère à boire pour les partisans de Jean Ping. Il aurait été malaisé dans tous les cas, pour ces experts, de voler dans les plumes de leurs hiérarques qui avaient déjà donné leur quitus à l’élection. Et quand bien même ils auraient été de bonne foi, il aurait été difficile pour eux de faire correctement leur travail, n’ayant été admis qu’à la dernière minute. Si donc le secret des délibérations de la Cour constitutionnelle ne semble qu’un secret de polichinelle, il subsiste une grande inconnue qui n’est pas tant l’inéluctable réaction des partisans de l’opposition, que l’ampleur et les formes qu’elle pourrait prendre. Le moins que l’on puisse dire, au regard des chaudes journées qui ont suivi la proclamation des résultats provisoires, est que les risques d’embrasement de la rue sont énormes. Mais en face, le pouvoir semble préparé à maintenir le calme par l’usage de la force, y compris le recours aux forces armées nationales. C’est, en tout cas, ce que sous-entendent les menaces à peine voilées du ministre de la Défense. Les questions que l’on pourrait cependant se poser, sont de savoir si, d’une part, l’armée gabonaise franchirait le Rubicon en retournant ses armes contre son propre peuple manifestant à mains nues, et le cas échéant, jusqu’où pourrait aller ce bras de fer annoncé au Gabon. En attendant les premières rafales de la forte tempête tropicale que prévoit la météo politique sur Libreville à la fin du faux vrai suspense longuement entretenu par la Cour constitutionnelle, on peut déjà déplorer la dérive guerrière que ces propos du ministre de la Défense donnent à l’allure de la courbe de la crise. Non seulement l’armée n’a pour vocation régalienne que la défense du territoire national, mais aussi une armée républicaine se tient à équidistance des formations politiques et ne saurait donc servir de sbires à un camp contre un autre. Ces propos sont donc des plus gauches et le ministre aurait dû se taire. En tout état de cause, la panacée militaire que le pouvoir gabonais propose à la crise, a ses limites. Aucune armée, aussi puissante soit-elle, n’est jamais parvenue à bout d’un peuple debout, fût-il aux mains nues. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer à l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 ou au putsch du Général Diendéré le 16 septembre 2015 au Burkina Faso, où le peuple burkinabè a défié victorieusement les éléments armés du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Mais il est vrai que dans la logique des dictatures où semble s’emmurer le régime Bongo, « ça n’arrive qu’aux autres » et par conséquent, comme dit l’écrivain, « le molosse ne change jamais sa manière éhontée de s’asseoir».
« Le Pays »