Depuis le 27 août 2020, le Burkina Faso dispose, précisément à l’Université Norbert Zongo de Koudougou, d’une station au sol fonctionnelle dans le cadre du projet satellitaire Burkina-Sat1. Pour mieux connaître les tenants et les aboutissants dudit projet, son concepteur, le meilleur physicien spatial d’Afrique 2018 selon l’Union des géophysiciens d’Amérique, le Pr Fréderic Ouattara, par ailleurs président de l’Université Norbert Zongo de Koudougou, nous a accordé une interview dans l’après-midi du 10 septembre 2020 à la présidence de ladite université. Quel est le parcours du Pr Ouattara qui veut mettre le pays des Hommes intègres sur orbite, premier du genre en Afrique francophone ? Quelles sont les sources de financement du projet et son coût ? A quand le lancement de la fusée et par qui ? Telles sont autant de questions auxquelles le Professeur a apporté des réponses. Lisez plutôt !
« Le Pays » : Quel est votre parcours scolaire et académique, Professeur ?
Pr Fréderic Ouattara : J’ai commencé mon école primaire à Gaoua dans le Sud-Ouest. De l’école Tielkan aujourd’hui Tielkan « A » à l’école Centre B, je suis allé à Bobo-Dioulasso après mon admission à l’entrée en 6e pour poursuivre les études. Là-bas, je fus accueilli par le Lycée Ouézzin Coulibaly. Ayant obtenu mon baccalauréat, j’ai déposé ma valise à l’Université de Ouagadougou aujourd’hui Université Joseph KI-Zerbo où j’ai fait une maîtrise en physique. Grâce à une bourse que j’ai obtenue, j’ai atterri à l’Université Félix Houphouët Boigny, à l’époque Université de Cocody à Abidjan. Là, j’ai fait un DEA et une thèse de 3e cycle en énergie solaire. Ce n’est qu’en 2002 que je suis venu à Koudougou en tant qu’enseignant-assistant à l’Ecole normale supérieure de Koudougou. En 2005, j’ai fait un master à Montpellier sur la didactique philosophie épistémologie et histoire des sciences. En 2009, j’ai fait une thèse d’Etat à l’Université Cheick Anta Diop au Sénégal. Je suis passé de maître de conférences en 2010 à Professeur titulaire en 2014. Après, j’ai été nommé vice-président de l’université Norbert Zongo (UNZ) de Koudougou pendant au moins 6 ans. Et depuis 2019, j’ai été porté à la tête de cette institution comme son président.
Par ailleurs, j’ai côtoyé aussi le monde syndical. A cet effet, je fus le secrétaire du SYNADEC depuis son implantation à l’UNZ pendant 6 ans, une place que j’ai cédée au regretté Dr Malo. Aujourd’hui, je suis purement et simplement administratif.
D’où vous est venue l’idée du projet Burkina -Sat1 ?
Burkina-Sat1, c’est depuis mon retour de la conférence des Nations unies à Vienne. Lors de cette session, on s’est rendu compte qu’il y a des pays en voie de développement qui ont été enrôlés dans un programme spatial afin d’atteindre les ODD. L’objectif était de faire de l’espace extra-atmosphérique, un espace de paix qui permettrait à tout pays d’atteindre ces ODD. Pour ce faire, par leur section UNOOSA, elle devrait permettre d’enrôler tous les pays du monde qui voulaient faire de l’espace, un moyen pour répondre à ces aspirations. Tout de suite, j’ai vu que c’est une occasion pour les pays comme le nôtre, qui devrait être saisie. C’est dans cet esprit que j’ai exposé le projet au ministre, le Pr Alkassoum Maïga, qui a accepté son financement, vu sa pertinence. Mais bien avant, j’avais été reçu par le président du Faso à qui j’avais soumis le projet de l’agence spatiale. Un projet qui a reçu l’approbation de Son Excellence Monsieur le président du Faso qui m’a encouragé pour la vision. Aujourd’hui, Burkina-Sat1 est né grâce à l’accord et au financement du gouvernement.
Où en êtes-vous avec ce projet ?
Il faut dire que le projet suit son cours. Nous avons déjà terminé la première étape, celle de l’installation de la station au sol qui, d’ailleurs, a été lancée le 27 août dernier et est fonctionnelle. Maintenant, il reste les deux autres étapes, à savoir la construction du satellite et son lancement en orbite et l’y maintenir durant sa durée de vie.
La station au sol a été réalisée. Qu’est-ce que cela signifie ?
Il faut dire que depuis le 27 août, la réception de données est fonctionnelle, c’est-à-dire que les échanges d’informations entre satellites et récepteur sont effectifs.
Dans un pays où l’on peine à manger trois fois par jour, est-ce une priorité pour le Burkina Faso de disposer d’un satellite ?
Précédemment, je disais que l’objectif était de faire de l’espace, un moyen pour atteindre les ODD. Et vous savez que parmi ces objectifs, figure en bonne place la lutte contre la faim, l’accès à l’eau potable, la santé, le développement économique et social. Ces quatre points par exemple, peuvent être adressés à un programme satellitaire. Donc, c’est clair que le satellite permettra de résoudre des problèmes fondamentaux que sont comment améliorer l’agriculture, comment protéger la biomasse, la ressource en eau. Aussi, il permettra d’anticiper sur la manifestation de certaines maladies et prospecter les ressources minières et en eau souterraine.
Vous êtes à présent à l’étape de construction du satellite. Comment cela se passera-t-il concrètement ?
Nous sommes sur la 2e phase. Et cela se traduit concrètement par l’assemblage des pièces. Je préfère me limiter là.
Réussir Burkina-Sat1 demande beaucoup d’efforts et de moyens financiers. Comment comptez-vous vous y prendre ?
Il est bien de savoir que notre premier effort, c’est la volonté. Une volonté des acteurs à s’engager dans ledit projet, qui est déjà acquise. Aussi, Burkina-Sat1 est une vision qui a été accompagnée par le politique. Toute chose qui permet d’avoir un soutien international dans la coopération entre le Burkina Faso et les autres nations.
Parlant des moyens financiers à l’étape actuelle, le projet est entièrement financé par le gouvernement de notre pays. C’est le lieu pour moi de remercier le président du Faso et l’ensemble des membres du gouvernement, particulièrement mon ministre de tutelle, le Pr Alkassoum Maïga.
Quid du financement ?
La 1re phase a coûté environ 60 millions de F CFA. Quant à la 2e phase, elle coûtera 110 millions de F CFA. Pour la 3e, permettez que je ne donne pas de prix, car elle est tributaire de qui va nous permettre d’avoir la fusée de lancement. Et cela suppose que vous avez un partenaire qui offre des coûts abordables, allant du test de la fusée à l’embarquement du satellite pour son lancement sur orbite et son maintien. Il est bien de noter que ces coûts dépendent du partenaire. Donc, à l’étape actuelle, il est difficile d’en donner le coût exact.
Avez-vous déjà identifié ce partenaire ?
Nous en avons quelques-uns. Il s’agit du Japon, de la Chine, de l’Italie et d’une compagnie américaine. Il y a d’autres aussi qui sont venus d’eux- mêmes pour nous proposer leurs services. Nous sommes en train d’étudier les différentes offres afin de choisir le partenaire adéquat.
Vous avez reçu le prix du meilleur astrophysicien de l’espace africain en 2018. Depuis lors, combien de pays vous ont-ils fait la cour ?
Vous savez, bien avant que je revienne au pays, des pays m’avaient sollicité. Chose que j’avais refusée à l’époque car, pour moi, il fallait que je vienne participer à la formation des compétences dans mon pays. Et je crois qu’ils ne peuvent pas oublier ce refus de sitôt.
Avez-vous été approché par la NASA ?
J’ai des collaborateurs qui y travaillent mais de façon directe, après l’attribution du prix, je n’ai pas été contacté.
Quand le projet Burkina-Sat1 sera-t-il une réalité ?
Je disais tantôt qu’on est tributaire de la 3e phase. Normalement, le partenaire doit offrir deux fusées de lancement entre janvier et février, et mai et juin ou juillet. Donc, probablement, le lancement s’effectuera entre ces deux périodes en 2021.
Quel sera l’avantage de ce projet ?
Ce projet a plusieurs avantages pour notre pays, grâce aux images et données que nous relèverons. Je donnerai juste quelques-uns.
On pourra s’en servir d’abord pour l’amélioration de l’agriculture en adaptant les pratiques culturales par rapport à l’évolution de la pluviométrie dans ce contexte de changement climatique.
Ensuite, il serait possible de prospecter les ressources en eau souterraine pour développer les cultures de contre saison. Ensuite, il contribuera à la protection de la population contre certaines maladies telles les maladies cardiovasculaires. En plus, étant donné que nous sommes un pays de transhumance agropastorale, notre satellite nous permettra de localiser les points d’eau et la biomasse au profit des agropasteurs. Enfin, nous avons l’amélioration de la télécommunication à travers la maîtrise de la variabilité de l’ionosphère qui est la couche essentielle qui permet la retransmission radio ou télécommunication de par le monde. Voilà, de façon succincte, les avantages directs qui toucheront le commun des Burkinabè.
Vous êtes un exemple de réussite. Quels conseils avez-vous à donner à ceux qui voudraient vous emboîter le pas ?
(Rire) Je dirai premièrement qu’il faut avoir confiance en soi, de la vision, c’est-à-dire un rêve. Et se donner les moyens pour atteindre ce rêve qui doit se présenter comme un défi à relever. Aussi, il faut être excellent dans le travail qu’on fait. Le reste suivra avec le temps grâce à vos prouesses.
Le coût du projet avait fait polémique. Pouvez-vous revenir sur la question ?
Effectivement, c’est par un fait de hasard que j’ai été mis au courant qu’un journaliste a affirmé que le projet coûtera 100 milliards de F CFA. Sur-le-champ, j’ai demandé au chargé de communication de l’UNZ de vérifier l’information si c’est vrai ou faux et qu’il infirme cette assertion. J’étais étonné de ce coût car, à l’étape actuelle du projet, je n’ai en aucun cas donné son coût global. Mais soyez-en rassurés, Burkina-Sat1 est largement inférieur à 1 milliard de F CFA. C’est pour dire que souvent, il est intéressant que les choses soient dites pour encourager ceux qui soutiennent ce projet, premier du genre en Afrique francophone. Je crois qu’au-delà des avantages, le fait que nous soyons les premiers en Afrique francophone à conquérir l’espace, doit être une fierté nationale. Car, pour une fois au moins, nous ne sommes pas derrière, nous sommes devant.
Combien d’astrophysiciens le Burkina compte-t-il au total ?
Notre pays compte au moins 10 astrophysiciens. Et parmi ces 10, j’en ai formé 8. Mais il est bien de savoir que l’astrophysique est un domaine très vaste : il y a, par exemple, la partie exploration de l’univers et la partie spatiale qui est notre domaine d’intervention qui consiste à exploiter l’espace, c’est-à-dire voir comment la rendre plus utile à l’être humain pour combler les vides du développement. En tout cas, sans risque de me tromper, je peux dire que la relève est assurée.
Votre mot de fin
Je voulais dire merci à tous mes collègues de l’UNZ, aux collaborateurs, aux personnels ATOS, aux étudiants qui m’ont accompagné dans ce projet, soit par les conseils, les moyens financiers et surtout par la prière. Je n’oublie surtout pas la presse grâce à qui les gens ont pu connaître l’importance de ce projet pour notre pays. Je m’en voudrais de ne pas réitérer mes remerciements au président du Faso et aux membres du gouvernement. Enfin, je traduis ma reconnaissance aux internautes qui m’ont envoyé des messages d’encouragement et de félicitations. Ce qui m’a le plus marqué, c’est cette fibre patriotique que j’ai ressentie dans les interventions des uns et des autres autour du projet. Comme je l’ai dit précédemment, pour une fois, nous sommes devant, et c’est l’occasion pour moi d’inviter toutes les compétences, que la porte de Burkina-Sat1 leur est ouverte, car c’est le Burkina Faso qui gagne.
« Le Pays »
photo: Sidwaya