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Nettoyage dans les services et domiciles : ce petit boulot qui permet à des étudiants de tenir le coup

Vigiles, commerçants de vêtements, vendeurs d’unités, livreurs (repas, articles), employés dans des boulangeries, photographes.. Bref, la liste de petits boulots qu’exercent bien des étudiants de nos jours,  est loin d’être exhaustive. A cette liste de petits boulots, il faut ajouter le nettoyage dans les services publics ou privés, dans des domiciles à la demande de clients. Autrefois réservé aux femmes vulnérables et d’un certain âge ou aux veuves, le nettoyage est pris aujourd’hui d’assaut par bien des diplômés, surtout des étudiants et étudiantes qui en ont fait un moyen de survie. La précarité des familles, le manque d’emplois et bien d’autres sont,  entre autres raisons invoquées par ces diplômés qui se tournent vers ce boulot de “vieilles femmes”. Zoom  sur des étudiants “techniciens de surface”.

 Jeudi 10 octobre 2024, nous avons rendez-vous avec Sarata Ganentoré à son lieu de nettoyage au quartier Ouaga 2000. Le rendez-vous, lui, a été bien calé la veille après indication du lieu. “ Nous finissons de nettoyer au plus tard à 6h30mn. Si vous pouvez être là avant cette heure, ce serait bien”, nous prévient-elle la veille, au bout du fil. Le jour-j, nous démarrons de notre rédaction située aux 1200 Logements, à 6h02mn, direction “ le service” de Sarata. D’abord, nous prenons le soin de lancer un coup de fil, histoire de nous rassurer qu’elle est déjà à son poste. Le téléphone sonne mais sans réponse. Nous n’avons pas trop insisté,  convaincu qu’elle devrait être à fond dans son boulot et que le téléphone serait un peu loin d’elle.  Néanmoins, nous prenons la route et après une quinzaine de minutes, nous voilà au lieu indiqué, selon les indications données la veille. Nous lançons encore un autre coup de fil et entendons au bout : “ oui madame, vous êtes là ? Je sors de la cour alors.” Quelque temps après, elle nous rappelle et dit ceci : “ je ne vous vois pas alors que je suis devant l’entrée principale. Etes-vous sûre d’être au bon endroit ? ”, nous interroge-t-elle. Apparemment non !  En effet, “le service” de Sarata et là où nous avions garé présentent quelques similitudes près (R+1, peint en blanc) sauf que chez elle, il y a une grande entrée et des vigiles assis dans la cour, à l’entrée, à gauche. Après explication, il se trouve que le service se trouve un peu plus devant, à quelque 300 mètres. Notre véhicule de reportage redémarre et un peu devant, nous apercevons une jeune dame, dans une robe en soie, le bras droit en l’air faisant des gestes. Enfin, nous y voilà. Il est 6h 22 mn. Nous descendons du véhicule et procédons aux salutations d’usage. Ceci fait, elle nous invite à entrer dans la cour.  C’est un R+1, avec une entrée principale bien grande.

“Je fais ce boulot pour gagner dignement ma vie”

A la demande de notre interlocutrice, nous nous garderons de donner le nom de la structure qui est un établissement public. Lorsque nous franchissons le seuil de l’entrée principale, derrière le portail, sous un balcon, se trouve un agent de sécurité, assis sur une chaise, les mains posées sur une table. Après salutation, nous lui expliquons que nous sommes là pour un travail avec la jeune dame. “ Pas de problème madame, allez-y “, nous dit-il. Nous nous hâtons de rattraper notre interlocutrice qui, pendant ce temps, est déjà dans les escaliers. Au rez-de chaussée, des bureaux font face à la cour. Plus à gauche, un parking où se trouvaient deux véhicules dont un très poussiéreux avec des roues  visiblement à plat. Nous nous déchaussons pour monter sur une terrasse mais notre guide insiste pour qu’on porte nos chaussures. Chose que nous ne ferons pas malgré son insistance. “Nous avons déjà nettoyé les bureaux du bas”, nous dit-elle tout en indiquant lesdits bureaux. Nous nous empressons de la suivre dans les escaliers. Après quelques marches, elle nous indique une salle, un peu plus grande, où se trouvent une table et plusieurs chaises.  “Ici, c’est la grande salle de réunion. On n’a fini de la nettoyer et il ne me reste que le bureau du patron”, laisse-t-elle entendre avant de se diriger vers ledit bureau situé à droite, en face de la salle de réunion. Elle ouvre le bureau où se trouve déjà un seau d’eau mousseuse. Elle prend un torchon, le plonge dans l’eau mousseuse, puis le presse et se dirige sur la table de bureau où chaque objet est minutieusement soulevé, la table essuyée puis l’objet remis à sa place. “C’est un travail  qu’il faut faire vite pour ne pas que les agents viennent te trouver. Donc,  on se réveille tôt et à 6h ou au plus tard 6h30m, nous avons fini et on quitte les lieux”, explique-t-elle. Après avoir essuyé la table de bureau, notre interlocutrice revient vers le seau d’eau, prend une serpillère qui se trouve déjà dans l’eau. Elle la presse et l’étale sur le sol. A l’aide d’un balai raclette, elle essuie tous les coins et recoins du bureau.

“J’ai décidé de faire ce travail pour pouvoir faire face à des dépenses”, Sarata Ganentoré, étudiante en 3e année de Lettres modernes

Cet exercice, Sarata Ganentoré le fait depuis deux ans, du lundi à  jeudi. Etudiante en 3 année de Lettres modernes à l’Université Joseph Ki-Zerbo (UJKZ), Sarata a décidé de faire du nettoyage après avoir été informée par une amie. Sans hésiter, elle décide de saisir l’occasion pour avoir,  ne serait-ce quelque chose à la fin du mois. “ Être étudiant, ce n’est pas simple. Par exemple en Lettres modernes où je suis, il y a des romans à acheter, des photocopies à faire à tout moment sans oublier mes petits besoins en tant que jeune fille (savon, pommade, coiffure, habillement etc). C’est très compliqué. J’ai donc décidé de faire ce travail pour pouvoir faire face à ces dépenses”, relate la native du village de Zoungou, dans la commune de Zorgho, où résident ses “parents cultivateurs”,. Depuis son affectation à l’UJKZ, l’étudiante habite chez son oncle paternel, dans le quartier Sinyiri de Ouagadougou. Pour se rendre à “son poste” dans le quartier Ouaga 2000, elle doit parcourir environ 6 km à vélo, son moyen de locomotion. Et ce n’est pas tout ! Car, après avoir fini de nettoyer, il lui faut bien continuer au campus pour suivre les cours s’ils commencent à 7h. Une autre paire de manches car, selon les estimations, de son lieu de nettoyage au campus, à Zogona, l’étudiante a une distance d’une douzaine de Km environ à faire. De son domicile à son lieu de travail et de là jusqu’au campus, Sarata parcourt une distance de 18 km sans oublier que du campus à son domicile, il lui faut encore une distance de 6 km. Un total de 24 km que notre jeune étudiante fait au quotidien.  Mais fort heureusement, ce jeudi de notre rencontre, ses cours démarrent à 14h. Donc, elle a le temps de repartir à la maison, souffler un peu avant de rejoindre le campus. “Ce n’est pas facile. Il y a des jours où du fait de la fatigue, je somnole pendant les cours, mais plus le temps passe, plus mon corps s’est habitué. J’ai réussi à m’y adapter. Il faut bien que je fasse ce travail qui me permet de faire mes photocopies, d’acheter les romans qu’on nous demande, des vêtements, chaussures, etc, par moments”, dit-elle, en souriant, avec les 20 000 F CFA qu’elle a comme salaire mensuel. “ Nous qui avons des parents cultivateurs, ne pouvons pas toujours appeler pour demander ceci ou cela. Ils n’en sont même pas capables. Donc,  pour éviter de toujours tendre la main ou me prostituer pour avoir de l’argent, je fais ce boulot pour gagner dignement ma vie. Et comme le dit un adage populaire, il n’y a pas de sot métier dans la vie”, dit-elle, sourire aux lèvres.

“ Aucun travail n’est facile. Tout est une question d’organisation »

En attendant de décrocher un concours de la Fonction publique même si les cinq concours passés cette année n’ont pas été concluants pour elle, la jeune dame affirme qu’avec son « petit argent », elle économise peu à peu pour s’acheter une moto et  remplacer son vélo avec la tontine qu’elle fait avec d’autres personnes. “ Aucun travail n’est facile. Tout est une question d’organisation.

“Aujourd’hui, il y a de petites choses pour lesquelles je ne suis pas prête à aller emmerder mes parents”, Oumou Koulsoum Ganemtoré, étudiante en 3e année de sociologie

 

Quand j’ai un devoir, par exemple à 7h, je viens plus tôt, je nettoie ma partie et je continue à l’université”, indique,  pour sa part,  Oumou Koulsoum Ganemtoré, étudiante en 3e année de sociologie à l’UJKZ, par ailleurs cousine de Sarata Ganemtoré. Selon l’étudiante en sociologie qui vit chez ses parents, lorsqu’elle a émis l’idée de faire le nettoyage,  il y a deux années de cela, ses géniteurs n’ont trouvé aucun inconvénient. “ Ils m’encouragent puisque je les épaule,  d’une manière ou d’une autre,  dans les dépenses. Ils m’aident mais ils ne peuvent pas tout faire. Aujourd’hui, il y a de petites choses pour lesquelles je ne suis pas prête à aller les emmerder”, lance-t-elle.

Pour Raïna Congo, étudiante en 2e année de droit, faire ce travail “est un réconfort moral ”

 

Contrairement à Sarata et Oumou Ganemtoré qui ont un salaire mensuel, Raïna Congo, étudiante en 2e année de droit à l’université Thomas Sankara, évolue à Danica group, une structure spécialisée dans le nettoyage des maisons, des bureaux, des villas meublées, des moquettes, fauteuils, tapis, matelas, etc. Là-bas, le travail ne se fait pas au quotidien mais en fonction des demandes des clients. En effet, lorsqu’un client contacte la structure via les réseaux sociaux ( facebook, Instagram, tik tok,), ce dernier exprime son  besoin avec la responsable de la structure. Cette dernière se rend sur les lieux pour évaluer  le travail à faire avant de fixer un prix. Lorsque l’accord est conclu entre le client et la responsable, l’équipe se rend sur les lieux pour l’exécution de la tâche.  “ C’est l’an passé que j’ai rejoint le groupe. Je surfais sur Facebook, un jour, étant donné que je fais de la vente en ligne de prêts à porter de friperie. Et là, je vois une publication où une dame annonce qu’elle est à la recherche de deux personnes pour complément de son effectif. Je n’ai pas hésité et je l’ai contactée sur lechamp. On s’est donné rendez-vous et après explications, j’ai dit pourquoi pas.  Depuis, je fais ce travail en plus de mes études et de mon commerce en ligne. L’essentiel pour moi, c’est de ne pas voler, ne pas surtout toujours tendre la main et gagner  quelque chose à la sueur de mon front. C’est un réconfort moral et j’en suis fière”, se réjouit Raïna Congo. Selon ses propos, à Danica group, l’on est payé immédiatement, après exécution d’une tâche. “ La plus petite somme que j’ai eue depuis que je fais ce travail, c’est 7 000 F CFA. Mais il y a eu des moments où j’ai eu 25 voire 30 000 F CFA, pour seulement  une journée de travail.  Si dans le mois, on a eu quatre, cinq ou six nettoyages, ce n’est pas petit. En tout cas, ce que je gagne me permet de faire face à l’essentiel de mes besoins et je l’utilise aussi pour agrandir mon petit commerce”, confie Mlle Congo. Alima Yaguibou, étudiante en 2e année de droit à l’Université Thomas Sankara, travaille également  à Danica group qu’elle dit avoir intégré il y a de cela 7 mois. Elle donne les raisons pour lesquelles elle a décidé de faire ce travail.

En plus de sa casquette de nettoyeuse, Alima Yaguibou est agent commercial dans une banque de la place. Deux boulots qu’elle arrive à faire tout en suivant correctement ses cours à l’université.

Il n’y a plus de travail exclusivement réservé aux femmes et d’autres aux hommes”

 Il en est de même pour Daouda Sawadogo, cet étudiant en 3e année d’Allemand à l’UJKZ, évoluant également dans le nettoyage depuis dix mois.   C’est le seul garçon du groupe que nous trouvons, en culotte, en plein nettoyage dans un domicile, en compagnie de quatre filles dans le quartier Somgandé de Ouagadougou, ce 27 août. A la question de savoir s’il n’est pas gêné de faire ce boulot de femmes, il sourit et répond par la négative. Selon lui, de nos jours, il n’y a plus de travail exclusivement réservé aux femmes et d’autres aux hommes. Cette barrière est levée et mieux, selon ses propos, il considère ses collègues comme des petites sœurs pour certaines et d’autres comme des grandes sœurs.

Selon Daouda Sawadogo, il n’y a plus de travail exclusivement réservé aux femmes et d’autres aux hommes

 

Pour lui, l’essentiel est de faire un boulot, si petit soit-il, qui puisse lui rapporter quelque chose afin de subvenir à ses besoins. “Je  me débrouille avec ce que je gagne grâce à  ce travail. Mes parents ne sont pas ici, ils sont en Côte d’Ivoire. Ils m’envoient certes de l’argent mais il y a tellement à faire que ça ne peut pas toujours suffire.  Avec ce que je gagne dans le nettoyage, cela m’aide énormément et contribue à diminuer les charges de mes parents. Je ne regrette pas d’avoir choisi ce boulot”, avance Daouda Sawadogo.

Pour Natacha Pascaline Dah, titulaire d’un Bac +2 en finances comptabilité, les dures réalités de la vie contraignent la grande majorité des étudiants, hommes comme femmes, à faire ces « petits boulots », ne serait-ce que pour tenir le coup à l’université. Pour elle, c’est même un chemin incontournable. “Certains étudiants n’ont personne pour leur venir en aide. D’autres en ont mais ce que l’on leur donne,  ne peut pas les  mettre forcément à l’abri du besoin. Donc, il faut toujours faire quelque chose pour joindre les deux bouts.  L’université est une autre réalité et les petits boulots sont des opportunités pour ne pas abandonner. C’est parce que l’on n’a pas le choix qu’on fait de petits boulots sinon que tout le monde aimerait être nourri, entretenu et blanchi mais la réalité est là. Et comme on le dit, il n’y a pas de sot métier. Tout travail qui te permet d’avoir une rémunération aussi petite soit-elle, est une satisfaction morale “, estime Mme Dah, responsable de Danica group, créé en 2023 et comprenant 7 membres dont 5 filles et deux hommes.

 

“ Tout travail qui te permet d’avoir une rémunération, aussi petite soit-elle, est une satisfaction morale “, estime Pascaline Natacha Dah, responsable de Danica group

 

Vous voyez vous-même, tu peux finir à l’université, mais il n’y a pas de boulot. Tu déposes les dossiers un peu partout sans suite. Au lieu d’attendre, tu ne peux que faire ces petits boulots pour subvenir à tes petits besoins en attendant d’avoir un emploi stable”, indique la responsable de Danica group. “Moi, je suis une diplômée mais je fais le nettoyage au même titre que les autres membres de l’équipe. Je supervise mais je mets la main à la pâte comme tout le monde. Il n’y a aucune honte. J’arrive à tirer mon épingle du jeu, à faire face à mes charges”, déclare cette mère d’une fillette.

Du pain béni pour des entreprises

A l’en croire, certains proches voyaient d’un mauvais œil son travail, estimant que c’est pour les vieilles femmes, les illettrées, etc. Mais la majeure partie d’entre eux l’encouragent, à l’image de Samira Zoundi, “une amie mais presque sœur” de Natacha Dah.  “ Le monde de l’emploi est difficile, et très fermé de nos jours. La vie est devenue difficile, il ne faut plus compter sur les parents ou autres proches pour s’en sortir. Mieux vaut faire quelque chose. Certaines filles diplômées diront qu’elles ne vont pas se rabaisser jusqu’à aller faire le nettoyage chez quelqu’un mais elle (parlant de Natacha Dah), a accepté cela et je lui tire mon chapeau. Il n’y a pas de sot métier et tout métier nourrit son homme”, estime Samira Zoundi pour qui, dès lors que ce boulot permet à ces étudiantes et étudiants d’avoir un peu de revenus, de vivre décemment et de subvenir à leurs petits besoins, il n’y a aucun mal à cela.

“ Un étudiant ou une étudiante qui s’adonne à cela pendant ses temps perdus, ne peut être que félicité”, déclare Samira Zoundi

 

Le nettoyage est un métier comme tous les autres. Un étudiant ou une étudiante qui s’adonne à cela pendant ses temps perdus, ne peut être que félicité”, ajoute-t-elle.  Un avis que ne partage pas forcément cet enseignant qui nous confie ceci en off, dans un échange. “ Ils (NDLR : les étudiants) disent qu’ils font ces petits boulots mais les résultats sont là. Le niveau est très bas et combien arrivent à avoir la moyenne à la fin de l’année.  Si ce qu’ils gagnent dans les petits boulots, ils investissaient réellement dans les études, le niveau n’allait pas être aussi lamentable. Ils allaient avoir leurs documents, donc bien se former et avoir les meilleurs résultats. Il est vrai que la bourse n’est pas faite pour tout le monde et que tout le monde ne peut pas avoir le FONER, mais on devrait ressentir tout ceci au niveau des études. Mais le niveau est en baisse chaque année”, martèle-t-il. A son avis, ces petits boulots que font ces étudiants, sont du pain béni pour des entreprises qui, au lieu d’embaucher des gens qualifiés, s’attachent les services de ces étudiants pour les payer par la suite avec des salaires de misère. “ Ces étudiants, pensant avoir eu du boulot, ne cherchent plus à finir leur cursus. Au lieu de se concentrer pour finir leurs études et avoir un bon boulot bien rémunéré, ils se plaisent dans ces petits boulots avec des salaires dérisoires. C’est cela toute la réalité”, déplore l’enseignant.

 Colette DRABO

 

 

 

 

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