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JEAN HUBERT BAZIE à propos de la révolution burkinabè : « l’édifice laborieusement construit en 4 ans a été détruit en l’espace de quelques années »

Le 15 octobre constitue une date historique au Burkina car elle rappelle l’assassinat du père de la Révolution burkinabè, Thomas Sankara, qui a été assassiné par ses frères d’armes le 15 octobre 1987. A l’occasion du 32e anniversaire de ce triste événement, Jean Hubert Bazié, sankariste, a décidé de rappeler certains acquis de l’ère Sankara.

« Le 4 Août 1983, dans un sursaut patriotique de l’ensemble des forces vives de la nation, la Révolution était déclenchée au Burkina sous la houlette du Conseil National de la Révolution. Les idéaux de liberté, d’indépendance et de dignité proclamés par le capitaine Thomas dans la nuit du 4 Août 83 ont recueilli l’adhésion du peuple jusque-là opprimé et qui voyait en la Révolution démocratique et populaire, un espoir de salut. De fait, en 4 années de pouvoir, le CNR a entrepris des actions audacieuses dans le sens du développement du pays. Sur tous les plans, politique, économique, social, culturel et sportif, bien des réalisations qui ont été effectuées, sont allées bien au-delà de ce qui avait été fait en 23 années d’indépendance. Cette performance exceptionnelle, sous-tendue par l’audience inégalée dont jouissait le Burkina Faso sur le plan international, suscitait l’admiration des peuples d’ailleurs. Le Burkina Faso était désormais cité comme un exemple authentique de développement autocentré, dans le strict respect de son indépendance et de sa dignité, autant de denrées qui se faisaient de plus en plus rares dans le monde. Le citoyen burkinabè était devenu une sorte de modèle admiré et envié à l’étranger.

15 OCTOBRE 1987 : LA HONTE

Cette voie originale de développement qui avait pour matériaux de base, la prise en main par le peuple de son destin, en comptant d’abord et surtout sur ses propres forces, devait être brutalement interrompue le 15 octobre 1987 par des personnes gagnées aux manœuvres déstabilisatrices  des   puissances  d’argent dominatrices du monde.

On se rendra par la suite compte que la raison fondamentale qui a poussé une aile du CNR à perpétrer l’assassinat du capitaine Thomas et de 12 de ses compagnons, n’était rien d’autre que leur allergie à vivre avec les masses et à s’imposer un minimum d’esprit de sacrifice dont les retombées seraient bénéfiques pour l’ensemble du peuple. Par le tragique tournant du 15 octobre 1987, les acteurs de la tragédie inauguraient ainsi une politique dite de rectification et qui se révéla être un système éhonté de pillage des richesses du pays, d’égoïsme outrancier et de revirement total de toute valeur morale. La période allant de 1987 à 1991 fut une des périodes les plus noires du peuple burkinabè qui dut subir des répressions multiformes, des sanctions arbitraires et des assassinats déguisés.

La poussée des forces démocratiques excédées devait forcer la main au pouvoir du Front populaire et lui arracher le référendum du 2 Juin 1991 et les élections présidentielles et législatives qui s’en suivirent. Après avoir tout tenté pour rejeter ou réduire à sa plus simple expression le processus démocratique au Burkina, certains ténors de l’ex-Front populaire, jaloux de leur pouvoir, s’acharneront à faire voter une Constitution taillée sur mesure, convaincus à leurs propres dires, que « la démocratie est anti-développement ».

Aujourd’hui, des hommes passés maîtres dans l’art de la répression et de l’assassinat sont installés au pouvoir et se disent les champions de la démocratie. Mais, « chassez le naturel et il revient au galop ». Ainsi, chaque acte posé par ces hommes clairement identifiés par notre peuple, trahit leur nature réelle et suscite le rejet systématique de la part des masses laborieuses qui ne se reconnaissent pas en eux. C’est en cela qu’il faut comprendre les remous sociaux qui secouent et ébranleront à la longue la IVe   République. On se rappelle que pour obtenir les résultats qu’on sait, lors des élections de 1992, les hommes au pouvoir, rassemblés au sein de l’ODP/MT, avaient utilisé diverses méthodes pour triompher, en revendiquant notamment l’héritage de la Révolution démocratique et populaire.

Cela a eu, en son temps, dans l’esprit de beaucoup de Burkinabè, la dimension d’un dol, le pouvoir issu du 15 octobre 1987 et qui s’est métamorphosé ensuite en ODP/MT, n’étant rien d’autre que l’antithèse de la RDP. La preuve devait du reste être donnée à la lumière de l’exercice du pouvoir, de 1987 à 1991 et de cette dernière date à ce jour.

L’ENDROIT ET L’ENVERS

Qu’est-ce qui différencie la Révolution des pouvoirs qui lui ont succédé ?

Sur le plan politique

Dès son avènement, la Révolution démocratique et populaire, conduite par le capitaine Thomas Sankara, a connu une définition claire et originale de sa ligne. Il s’agissait, pour le Burkina Faso, de sortir des sentiers battus et de rechercher les voies de son développement, en comptant sur ses propres forces. Cela impliquait de la part de tous, notamment des couches favorisées, une violence sur soi, un grand amour du peuple et un esprit de sacrifice. En quatre années d’application de cette ligne, les résultats obtenus ont été probants, en dépit des conclusions d’un fameux « bilan des 4 années de la Révolution ».

La mise sur pied des structures populaires a constitué un acquis pour la RDP. Les Comités de défense de la Révolution, en dépit des erreurs constatées, ont contribué à la mobilisation et à la conscientisation du peuple autour de la question essentielle de ses intérêts.

Aujourd’hui, chaque Burkinabè a les yeux ouverts et toutes les formes de mensonge et de duperie politiques sont repérées et combattues. Une des formes les plus concrètes de l’apport des CDR aura été la mise sur pied des structures de la Justice populaire (TPC, TPD, TPA, TPR) qui ont constitué des cadres d’éducation et de conscientisation de notre peuple et ont fait l’objet d’admiration des autres peuples à l’échelle internationale. Bien vite après le 15 octobre 1987, le fonctionnement de ces différentes structures qui devait être « amélioré et approfondi » se grippa, tout simplement parce qu’elles n’avaient plus d’âme du fait que la Révolution n’existait plus. Malgré les déclarations verbales des dirigeants du Front, personne au Burkina et ailleurs ne croyait guère plus en la Révolution d’Août au Burkina, et il n’était pas rare d’entendre dire : « Sankara est mort, la Révolution est finie ». Ce qui n’était pas loin de la vérité. Le peuple comprenait également à cette occasion, la vérité sur toutes les accusations et injures portées contre le leader de la Révolution. Les qualificatifs de « liquidateur », d' »autocrate », de « traître », de « voleur », proférés à l’époque par des individus dont l’histoire révèle aujourd’hui la véritable identité, n’étaient avancés que pour salir la mémoire du président du CNR et réussir à s’installer sur son fauteuil ensanglanté. Alors qu’il était dit que Thomas Sankara s’apprêtait à tuer tous ses autres compagnons le 15 octobre à 20 heures, on sait ce qu’il advint de certains de ces compagnons dans les mois et années qui suivirent la mort du président. C’est sans doute maintenant qu’on réalise mieux que n’est pas faux le propos qui dit que Thomas, au sein du CNR, était celui-là même qui s’est toujours acharné à sauver des têtes que certains réclamaient à tout prix. La preuve aura été donnée par les multiples assassinats qui ont émaillé la vie politique du Faso après le 15 octobre.

La politique extérieure

La guerre du Libéria a révélé à la face du monde, ce que pouvait représenter une politique extérieure de provocation et d’ingérence dans les affaires intérieures d’autres Etats. Le Burkina, pour des raisons mystérieuses (d’aucuns disent matérielles) est allé jusqu’à envoyer des troupes au Libéria pour soutenir le NPFL de Charles Taylor. Cela a provoqué une vive réaction des Burkinabè qui a amené le pouvoir Compaoré à réviser ses positions, après les menaces non voilées des Américains. Et cela n’est qu’un cas parmi tant d’autres. A Lomé à côté, les Burkinabè sont déclarés persona non grata, en raison du soutien dont bénéficie Eyadéma auprès de Ouagadougou. Par ces deux faits, la politique extérieure de l’après-CNR qui est menée par des hommes qui ont critiqué le « caractère provocateur des joutes oratoires de Thomas Sankara », est sans doute la meilleure, et il convient de continuer sur cette voie.

Sur le plan économique

Dès son avènement, la Révolution démocratique et populaire s’est fixée comme objectif   prioritaire dans le domaine économique, la maîtrise de l’eau en tant que puissant facteur de production.

Ainsi, il y eut une accélération du rythme de réalisation des puits, forages, retenues d’eau et barrages. Cette accélération a été obtenue au cours du Programme populaire de développement (PPD). Ainsi, la construction de barrages et retenues d’eau a dépassé une moyenne de trente deux (32) contre vingt (20) durant la période coloniale. Les grandes réalisations telles que le Sourou, Douna et Kompienga ont vu le jour. L’hydraulique villageoise et urbaine a connu un essor important, avec la réalisation annuelle de plus de 600 puits et 1 100 forages.

Dans le domaine des transports et communications, au cours des 4 années de RDP, il y a eu un accroissement considérable de la longueur des routes bitumées (106 km en moyenne par an sous le CNR contre 39 km/an en 23 ans) et des routes en terre. Dans le domaine ferroviaire, il y eut en 1985 le lancement de la construction du chemin de fer du Sahel.

L’introduction du transport en commun urbain et interurbain X9 dès 1984 a témoigné du souci de développement du transport terrestre.

Les principaux acquis en matière d’infrastructures aéroportuaires ont résidé dans la construction d’aérodromes secondaires et la reconstruction de l’aéroport international de Bobo-Dioulasso. La multiplication des accords aériens a permis d’accroître la desserte aérienne du pays, avec des lignes frappées jusque-là du sceau de l’interdit (Air Algérie, Aéroflot, etc.).

Dans le domaine du commerce, l’incitation à la consommation des produits nationaux, l’instauration des groupements d’intérêt économique (GIE), l’organisation des foires régionales et enfin, le renforcement des circuits de distribution, avec la construction des magasins populaires et l’augmentation de la capacité de stockage sont autant d’actions positives qui sont malheureusement rangées aujourd’hui aux oubliettes.

En matière de tourisme et d’hôtellerie, ce secteur a sans nul doute connu un regain d’intérêt dès le 4 Août 1983, avec notamment :

  • la réalisation des auberges populaires,
  • la création de Faso Tours et l’organisation des voyages touristiques,
  • la multiplication et le recensement des sites touristiques,
  • l’organisation plus rationnelle de la chasse.

On remarque aujourd’hui qu’avec des personnes qui déclarent avoir pris fait et cause pour la Révolution, aucun de ces volets du secteur économique n’est géré avec rigueur. Les gouvernants actuels qui tentent de prendre à leur compte certains projets et mots d’ordre économique tel que le mot d’ordre juste « produisons et consommons burkinabè », se sentent mal à l’aise quant à son application, étant eux-mêmes les premiers à les trahir. Cette lâcheté dans les comportements a pour conséquence de saper notre base économique et elle réduit l’Etat burkinabè à se livrer à la prostitution pour assumer les charges liées à sa souveraineté.

Sur le plan social et culturel

Des transformations révolutionnaires ont été réalisées dans les domaines suivants entre 1983 et 1987 : éducation, santé et action sociale, culture et information, habitat et urbanisme, sport et loisirs.

En   matière   d’éducation, il y a eu un accroissement des infrastructures scolaires. Cet accroissement, la baisse des frais de scolarité, le plafonnement des frais de fournitures scolaires, ont eu pour conséquence, une hausse sensible du taux de scolarisation qui est passé de 16 % à la veille de la Révolution d’août 83 à 24 % en 1987. L’alphabétisation commando a permis de former 20 000 personnes. Qu’en est-il aujourd’hui de tous ces acquis?

Dans le domaine de l’habitat et de l’urbanisme, il y a eu de très grandes transformations. C’est ainsi que les lotissements à grande échelle ont procuré un grand nombre de parcelles aux Burkinabè (62 000 les trois premières années contre 60 000 en 23 ans). La construction de diverses Cités a apporté des solutions au problème du logement au Burkina et embelli en même temps nos villes. De grands projets tels la construction du marché Rood-Woko et celle du Centre commercial de Ouagadougou sont à mettre à l’actif de la RDP. Ce sont autant de réalisations que les pouvoirs qui ont succédé au CNR ont tenté de revendiquer en vain.

Dans le domaine de la Culture et de l’information, durant les 4 années de la Révolution, le travail accompli a permis de promouvoir davantage notre patrimoine culturel. Cela a permis une  meilleure sensibilisation des populations et une démocratisation de l’information. Le FESPACO, les Semaines nationales de la culture et le SIAO ont été de grandes rencontres au cours desquelles se sont développés et se sont renforcés des liens culturels entre les différentes nationalités, par l’interpénétration des cultures.

Aujourd’hui, malgré des moyens immenses accordés par l’Etat pour l’organisation ces manifestations, on constate que l’appât du gain a eu le plus souvent raison du succès de ces manifestations.

Dans le domaine des sports et loisirs, l’idée du Sport de masse a créé une tendance chez beaucoup de personnes à pratiquer le sport avec plaisir, et cela, parfois même au-delà des heures retenues. En cela, l’exemple jadis donné par les premiers responsables était un stimulant ; aujourd’hui, il n’en est plus rien.

Quant à la Santé et à l’Action sociale, la Révolution d’Août a apporté dans ce secteur, des changements notables.

C’est en partant du mot d’ordre social « la santé pour tous d’ici à l’an 2000 » que les révolutionnaires ont travaillé à mobiliser les masses autour de leurs propres intérêts. Les grandes actions menées ont répondu à l’attente des masses, à savoir : la Vaccination commando, l’opération « Un village, un poste de santé primaire ». En outre, la nouvelle politique du médicament a permis la construction des pharmacies populaires. Toutes ces actions ont été sous-tendues par  une  politique de décentralisation des services techniques et administratifs dont le nombre a considérablement augmenté.

Sur le plan de l’Action sociale, la Révolution d’Août a entraîné un véritable élan de solidarité. La prise de conscience de notre peuple s’est développée autour de la lutte contre les grands fléaux sociaux qui frappent les Burkinabè. C’est le cas des calamités naturelles, de la mendicité, de la prostitution, de la délinquance, etc. Pour redonner confiance aux marginaux, une politique de réinsertion sociale a été définie et appliquée. La corruption a diminué du fait de la moralisation de la vie sociale, par les Tribunaux populaires de la révolution, notamment.

Aujourd’hui, tout n’est pas perdu

De tous ces acquis, que reste-t-il aujourd’hui à notre peuple ? Il est inquiétant de remarquer que l’édifice laborieusement construit en 4 ans a été détruit en l’espace de quelques années. Aujourd’hui, le Burkina Faso se retrouve à la case départ. Certains mêmes n’hésitent pas à dire, non sans raison, que nous sommes tombés plus bas qu’avant 1983. L’égoïsme, la corruption et l’irresponsabilité       sont érigés en système de gouvernement. Après la stratégie du « quitte de là que je m’y mette », certains (ir) responsables de l’Etat en sont aujourd’hui à l’étape de la politique de l’ »après moi, le déluge ». Ils ne s’imposent aucune rigueur et, fort curieusement, ils veulent l’imposer aux autres, oubliant que le peuple ne peut être trompé tout le temps. Il y a des responsables de l’Etat, qui, après avoir évolué dans les rangs de la Révolution d’Août et après en avoir connu les principes d’intégrité et d’honneur, se comportent aujourd’hui tout à fait à l’opposé de ces principes. La notion d’indépendance et de dignité est renvoyée aux calendes grecques au profit d’une nouvelle notion d' »amitié » qui les conduit à « se prostituer » à l’étranger et à brader ainsi notre souveraineté. Or, notre problème au Burkina est d’abord une question de saine gestion, de justice sociale et de sacrifice également réparti avant d’être une question de niveau des ressources. C’est pourquoi du reste, certains « se la coulent douce » pendant que d’autres croupissent dans la misère. Et c’est contre un tel état de fait que les travailleurs en sueur s’insurgent aujourd’hui dans un mouvement de révolte compréhensible. C’est connu : « Les uns mangent, les autres regardent, ainsi naissent les Révolutions… ».

Dr Jean-Hubert Bazié

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