Le FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou), ce sera du 22 février au 1er mars 2025. A l’orée de cette biennale du cinéma, nous avons reçu, le 5 février 2025, au siège des Editions « Le Pays », à Ouagadougou, en interview, Adama Roamba, réalisateur burkinabè. Pour cette édition, il est en compétition dans la catégorie série télé. Il s’est fait connaître grâce à ses courts métrages Garba, Mouka, et Source d’histoire qui a remporté le prix du meilleur court métrage au FESPACO en 2003. « La Forêt de Niolo » en lice en 2017 pour l’Etalon d’or de Yennenga, a remporté le prix du meilleur scénario. Nous avons échangé avec cet homme de cinéma, autour du 7e art, le 5 février 2025. Lisez !
« Le Pays » : Pourquoi on ne vous voit jamais sans votre béret borsal ?
Adama Roamba :
(Rire) ! C’est arrivé comme cela. J’aime beaucoup les chapeaux. J’étais en tournage sur mon film « Mouka ». Je tournais une séquence avec une grue au niveau du cimetière de Dagnoen. Comme il faisait très chaud, ce jour-là, j’avais du mal à bien régler la caméra avec le béret sur la tête. Je l’ai donc tourné. J’ai passé tout le temps à l’avoir dans cette position et je l’ai gardé ainsi comme une habitude.
En tant que cinéaste, comment vous préparez-vous pour le prochain FESPACO ?
Cette biennale est la messe du cinéma africain. On peut même dire que c’est le pèlerinage du cinéma parce que c’est un évènement mondial qui reçoit des gens qui viennent d’ailleurs. En tant qu’Africain et Burkinabè, il est de mon devoir d’y prendre part. Quoi qu’on dise, c’est un lieu de rencontres. C’est un milieu qui évolue rapidement et où les gens bougent beaucoup. C’est donc un creuset de rencontres et de retrouvailles pour parler de sujets en lien avec le cinéma et réfléchir sur des projets communs. Pour cette édition, j’ai une série télé en compétition : « Challenge ». Je suis un habitué ; il n’y a donc pas de pression. On attend juste l’ouverture du festival pour rencontrer de vieux amis et s’il y a des projets à venir, ce serait le plus essentiel. Etre sélectionné parmi un millier de films, c’est déjà une victoire. C’est dire déjà que le travail fourni par les techniciens, par la production et les comédiens et autres, a payé. Pour moi, c’est quelque chose d’important.
Pourquoi avez-vous choisi de concourir dans la catégorie série télé ?
Ce n’est pas un choix. J’ai un projet de long métrage sur lequel je travaille depuis trois ans, mais qui n’était pas prêt parce que, financièrement, les choses n’ont pas été bouclées. Je n’ai pas pu tourner. Et comme j’avais déjà tourné la série télé, j’ai dit : « Bon, pourquoi ne pas l’inscrire pour voir ? ». Si cela passe, tant mieux. Dans le cas contraire, on verra la prochaine fois. Donc, en réalité, je n’ai pas choisi délibérément la série télé. Mais c’est parce que je n’avais pas de film en long métrage qui était prêt. Le film sur lequel je travaille, je pense qu’en 2027, inch’Allah, je vais l’inscrire pour le long métrage.
Si ce n’est pas un choix, dites-nous dans quelles conditions, vous avez réalisé cette série télé.
C’est une série qui a été tournée difficilement parce que jusque-là, on n’a pas fini de monter. Mais il y a trois épisodes qui sont prêts. Au FESPACO, il faut au moins trois épisodes. Nous avons fait 28 épisodes. Le reste se fera au fur et à mesure parce qu’on avait un budget initial de 100 000 000 de F CFA et on s’est retrouvé avec 38 000 000 de F CFA. En trois mois de tournage, les choses n’étaient pas évidentes. C’est vrai que nous avons eu de petits accompagnements et le soutien de quelques partenaires. Mais cela a été très difficile parce que le budget n’a pas été bouclé. Avec une telle situation, on a du mal à travailler parce qu’artistiquement, au soir d’un tournage, tu te demandes comment tu vas préparer la séquence de demain. Tu te demandes comment les techniciens et les comédiens vont se restaurer. Le métier est passionnant mais en même temps imprévisible.
Comment se porte, selon vous, le cinéma burkinabè, si vous, Adama Roamba, une des figures de proue de ce cinéma, avez du mal à mobiliser des financements ?
Pourquoi dites-vous que notre cinéma était dans le trou ?
Il y a 10 ou 15 ans de cela, à chaque festival, on avait au minium quatre ou cinq films burkinabè. On avait des prix. On a quand même parlé du Burkina à travers des prix dans des festivals prestigieux. Cela montre déjà que le niveau a baissé. C’étaient des pays émergents qui venaient apprendre le cinéma ici, au Burkina. Mais aujourd’hui, ils prennent le dessus à l’international. A l’international, il n’y a pas de sentiments. Soit le film est bon et il est primé, soit il ne l’est pas. Ce sont des signes qui montrent que nous sommes en baisse de forme. Je me rappelle que quand on participait à des festivals, on savait que les prix prestigieux seraient raflés par des Burkinabè. Les autres cherchaient des prix de seconde ou troisième place. Aujourd’hui, ils n’ont plus peur de nous.
Des pays tels que la Côte d’Ivoire et le Sénégal, connaissent de grosses productions depuis un certain temps. Pourquoi le Burkina qui est la capitale du cinéma africain, est-il à la traîne ?
Je crois qu’il faut d’abord se dire la vérité. Nous avons beaucoup fonctionné sur le relationnel, ici, au Burkina. Pourtant, le cinéma est un métier artistique qui ne pardonne pas, qui ne tolère pas l’à-peu-près. Ce n’est pas parce que je connais un réalisateur ou quelqu’un qui se fait appeler réalisateur, que je vais préférer le privilégier en lui octroyant un financement alors qu’il y a une autre personne qu’on ne connaît pas mais qui est artistiquement bien outillée pour qui je ne fais rien. Et les résultats sont là. La Côte d’Ivoire a mis en place une politique de cinéma bien pensée et tracée. A l’heure où je vous parle, il y a des productions tous les jours en Côte d’Ivoire. Je dis bien tous les jours, “ça tourne en Côte d’Ivoire”. Aussi, beaucoup de chaînes de télévision se sont installées à Abidjan. Les boîtes de productions européennes s’y sont installées également. Nous avons même des boîtes de production des USA qui se sont installées. La Côte d’Ivoire est devenue la plaque tournante du cinéma ouest-africain francophone. Ce n’est même pas un débat. Idem pour le Sénégal qui a su mettre en place une politique de financement structurée des productions cinématographiques. Lorsque la création de l’espace culturel cinématographique est bien structurée, elle est facilement maîtrisable. Mais lorsqu’on saupoudre parce que nous sommes à l’orée d’une manifestation comme le FESPACO, on met 500 millions de F CFA à la disposition des acteurs pour soutenir des productions pour le FESPACO sachant que le FESPACO, c’est tous les 2 ans et qu’on attend encore 2 ans pour sortir 500 autres millions, ça ne marchera pas. Le Sénégal a un budget annuel de 2 à 3 milliards de F CFA pour le cinéma. C’est un fonds pérenne où des productions étrangères en bénéficient. La Côte d’Ivoire a un fonds du même genre. Moi, j’ai bénéficié de ce financement en Côte d’Ivoire. Nous avons besoin de réformes pour structurer le secteur. Lorsque tout est structuré, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas. Des réformes sont engagées au niveau du ministère de la Culture, notamment dans le secteur du cinéma ; ce qui est une bonne chose car cela montre que des changements ont eu lieu. Nous verrons les résultats d’ici au FESPACO 2027. Je suis sûr que nous verrons la différence.
Quelles sont, selon vous, les chances du Burkina de remporter l’Etalon d’or ?
Propos retranscrits par Boureima KINDO et Issa SIGUIRE