Depuis 2016, le Burkina Faso fait face à une crise sécuritaire sans précédent qui a occasionné un déplacement massif de plus de deux millions de personnes, provoqué des pertes en vies humaines et des fermetures de services sociaux. De nombreux secteurs d’activités subissent de plein fouet les affres de cette crise sécuritaire. Il en est ainsi de l’apiculture. Selon les statistiques de la Direction de développement de l’apiculture (DDA), l’apiculture contribue à environ 3 milliards de F CFA par an à l’économie nationale et emploie au moins 20 000 personnes. Comment les activités apicoles qui se pratiquent dans les zones rurales essentiellement subsistent à la crise sécuritaire ? Réponse dans cet élément.
Avant que la crise sécuritaire ne s’installe au pays des Hommes intègres, les ruches des apiculteurs subissaient des actes de vandalisme. Mais en 2016, ces actes de vandalismes se sont exacerbés avec des destructions totales de ruches ou leur prise en otage par des hommes armés. C’est ce qui nous a été donné d’entendre de la part de celle qui a la charge de la conception et la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable de l’apiculture, Félicienne Windkouni Béré. Elle nous a accordé un entretien le 5 septembre 2024 à Ouagadougou. Avec un ton posé, elle a abordé avec nous, les difficultés rencontrées par la filière miel en lien avec la crise sécuritaire.
A l’entendre, les actes de vandalisme et d’empoisonnement des ruches sont surtout liés aux problèmes de cohabitations : à savoir des conflits interpersonnels ou des conflits en lien avec l’utilisation des ressources naturelles étant entendu que le plus souvent, les ruches sont déployées dans des espaces communautaires. Selon Félicienne Windkouni Béré, la crise sécuritaire est passée par là, plombant par- endroit, les activités des apiculteurs.
L’apiculture est une pratique séculaire menée dans toutes les provinces et régions du Burkina Faso. Cependant, en fonction des potentialités des différentes zones hydro-écologiques, les quantités produites varient d’une région à l’autre. La région de l’Est se positionne en tête. Viennent ensuite celles des Hauts-Bassins, de la Boucle du Mouhoun, du Plateau central et du Centre-Ouest. La région de l’Est, durement affectée par la crise sécuritaire, a perdu sa place de première productrice de miel au profit des régions telles que les Hauts-Bassins, la Boucle du Mouhoun, le Centre-Ouest et le Plateau central.
Kobyagda/Ouali Ruth, Directrice du Centre apicole Selintaanba de Fada N’Gourma, a fait savoir que la crise sécuritaire affecte près de 70%, des activités des apiculteurs, provoquant ainsi une grande baisse de la production du miel. Sur une production moyenne annuelle de 120 tonnes en 2018, le Centre apicole Selintaanba de Fada N’Gourma est actuellement à une moyenne annuelle de 70 tonnes. La Directrice déplore le fait qu’au cours de l’année 2024, la production en miel de son centre ne pourra pas atteindre les 70 tonnes. « Pour les huit premiers mois de l’année, la production est estimée à 40 tonnes et ce n’est pas un bon indicateur », a-t-elle laissé entendre avant d’indiquer que cette baisse de la production s’explique par le fait que les producteurs éprouvent des difficultés non seulement à accéder aux sites de production mais aussi et surtout à exploiter de façon optimale les ruches déployées.
« Pour pouvoir continuer à mener nos activités apicoles, nous sommes contraints de rester non loin des villages. Mais nous ne savons pas jusqu’où nous pouvons résister à cette pression exercée sur nous par les hommes armés », a commenté, Kobyagda/Ouali Ruth. En plus du miel, d’autres produits dérivés sont produits et commercialisés. Il s’agit de pommades faites à base de beurre de karité et de cire d’abeilles très appréciée par les utilisateurs, du savon au miel ainsi que de l’hydromel (vin de miel). La crise affecte aussi ces produits dérivés. Le miel burkinabè n’est pas seulement vendu en Europe, indique Félicienne Windkouni Béré, qui précise que l’exportation du miel burkinabè vers les pays voisins, a nettement régressé du fait de la crise sécuritaire.
Odile Sawadogo/Teri est la présidente de l’Union pour le développement de l’apiculture moderne (UDAM), un regroupement de sociétés coopératives simplifiées de 12 villages des provinces du Houet et du Kénédougou dans la région des Hauts-Bassins. A la miellerie de l’UDAM, un dispositif impressionnant d’outils et de matériel se laisse voir. A tous les maillons de la chaîne, le geste de chaque travailleur est mesuré, dans l’optique de fournir aux consommateurs, un miel de qualité irréprochable. Selon Odile Sawadogo/Teri, la crise sécuritaire n’épargne aucun maillon de la chaine des valeurs. En effet, a-t-elle affirmé, à cause de la crise sécuritaire, l’UDAM enregistre une baisse de la commande de ruches par les apiculteurs du fait de l’inaccessibilité des zones de production. « Depuis 2023, la situation sécuritaire a beaucoup affecté notre filière. Il est quasi impossible pour certains apiculteurs de se rendre dans les parcs apicoles pour le suivi à cause des attaques terroristes », a confié, Odile Sawadogo /Teri. Et de préciser que deux villages ont été contraints de quitter en 2023, laissant derrière eux de nombreux ruchers. Plusieurs autres ruches ont été saccagées. Les deux villages déguerpis sont composés essentiellement d’apicultrices. Ces apiculteurs ont perdu environ 80% de leurs ruches et accessoires. Comme conséquence, ces villages n’ont fait aucune récolte de miel en 2023 et une bonne partie de 2024.
L’UDAM, du fait de l’insécurité, n’a pas pu récolter le miel dans certains villages en 2023 et en 2024. En 2023, la collecte a permis de mobiliser 15 tonnes de miel brut pour une prévision de plus de 30 tonnes. En 2024, la miellerie de l’UDAM n’a collecté que 7 tonnes de miel brut. Un chiffre très en deçà des prévisions, au regard de la demande croissante en miel aux niveaux national et international, à en croire, Odile Sawadogo /Teri. « La production annuelle en miel de l’UDAM se chiffre à environ 20 tonnes pour un chiffre d’affaires de 40 000 000 F CFA », a-t-elle estimé. Pour mieux faire face à la demande en miel des clients, l’UDAM a entamé une prospection dans la région des Cascades et dans d’autres villages environnants afin de diversifier ses sources d’approvisionnement en miel.
Si la crise sécuritaire est un frein au développement de l’apiculture au Burkina, un autre phénomène inquiète les acteurs de la filière apicole. C’est le déclin de la population des abeilles du Burkina, selon des spécialistes du domaine. Une situation jugée inquiétante à en croire la Directrice du développement de l’apiculture, Félicienne Windkouni Béré. Une situation causée, selon elle, par des facteurs tels que la pratique agricole intensive utilisant beaucoup d’engrais chimiques, des insecticides et des herbicides très nocifs aux abeilles. Il y a également la destruction des forêts qui sont des habitats naturels des abeilles. Suite à la destruction de ces forêts pour des raisons de constructions ou d’implantations de champs, la survie des abeilles s’en trouve durement menacée. A cela, il faut ajouter les effets du changement climatique tels que la hausse de températures, la sècheresse, les inondations, etc. « Ce sont, entre autres, phénomènes qui affectent la vie des abeilles et qui pourraient, si rien n’est fait, contribuer à leur déclin », a laissé entendre avec amertume, Félicienne Windkouni Béré.
L’orpaillage constitue également un danger pour la survie des abeilles à cause de l’utilisation des produits peu recommandables qui tuent les abeilles sans compter certains herbicides utilisés dans les champs qui déciment les abeilles. Pendant la dernière décennie, le secteur de l’apiculture a été affecté par de graves problèmes sanitaires signalés au Burkina. L’abeille est un bio-indicateur particulièrement performant, en ce sens qu’elle est en effet, quotidiennement en contact avec plusieurs éléments biotiques et abiotiques des écosystèmes tels que les végétaux, l’eau, le sol et l’air. A l’instar de l’apiculture africaine, l’apiculture burkinabè est insuffisamment structurée. Or, les facteurs à prendre en compte en ce qui concerne ce secteur, incluent les divers types d’apiculture et les écarts significatifs en termes de problématiques de technologie et de santé par rapport aux autres filières animales.
Dans la lutte pour la survie de l’abeille, de nombreuses initiatives sont entreprises par les différents acteurs de la filière apicole burkinabè.
Au-delà des actions de sensibilisation sur les dangers de l’utilisation des pesticides et des produits nocifs utilisés dans l’orpaillage pouvant affectés les eaux de surface et de la nappe phréatique, un plan de surveillance du miel est élaboré et mis en œuvre chaque année. A cet effet, des prélèvements du miel sont effectués aux fins d’analyses dans des laboratoires accrédités pour s’assurer de la meilleure qualité sanitaire et nutritionnelle du miel « made in Burkina ». Toute chose qui, selon Félicienne Windkouni Béré, permettra aux acteurs de rassurer les consommateurs sur la qualité du miel burkinabè.
Selon toujours la Directrice du développement de l’apiculture, la production nationale annuelle en miel est estimée en moyenne à 1 000 tonnes et devrait atteindre 1 500 à 2 000 tonnes au regard des acquis de ces dernières années en termes d’équipements, de renforcement de capacités des acteurs de la filière. La Directrice de développement de l’apiculture a rassuré quant aux facilités d’exportation du miel burkinabè. En effet, elle a indiqué que c’est un miel d’un label de qualité exceptionnel ; ce qui lui a valu l’agrément d’exportation dans l’espace de l’Union européenne (UE). Elle a précisé qu’en 2022, 13 tonnes 500 kg de miel ont été exportées contre 33 tonnes 800 kg en 2023.
En termes de recettes, l’apiculture contribue à environ 3 milliards de F CFA par an à l’économie nationale. Elle est une activité pourvoyeuse d’emplois, car, au moins, 20 000 personnes y sont engagées avec environ 10 centres qui emploient des personnels permanents. Par ailleurs, elle est une activité génératrice de revenus permettant aux personnes défavorisées des zones rurales de s’occuper sainement et d’en tirer de quoi subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles respectives. Pour accompagner les apiculteurs dans l’écoulement de leur production, plusieurs actions sont entreprises par le ministère en charge des ressources animales et celui en charge du commerce, notamment les foires constituées comme une vitrine et une tribune où le miel burkinabè est vendu. A ce sujet, le Salon national du miel (SANAM) est initié pour permettre aux acteurs de la filière apicole d’exposer et vendre leurs productions. A cela s’ajoutent les journées promotionnelles du miel organisées en marge de la Journée mondiale des abeilles célébrée le 20 mai de chaque année. Le ministère en charge des ressources animales accompagne techniquement les acteurs afin qu’ils puissent prendre part aux différentes manifestations commerciales à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
L’Interprofession-miel du Burkina Faso (IP-Miel/BF) est la faîtière des acteurs de l’apiculture, regroupés en Scoops de producteurs, de transformateurs et de fabricants de ruches et d’accessoires. Le but de l’Interprofession-miel est de contribuer, à moyen et long termes, à la mise en couvre d’actions de développement au profit des générations actuelles et futures, pour une promotion durable de la filière apicole, et pour une préservation et une protection durable de l’environnement. Pour y arriver, l’Interprofession- miel organise ses actions autour de quatre (4) axes, à savoir : l’accroissement de la productivité des exploitations apicoles, l’amélioration de l’accès aux matériels d’extraction et de filtrage du miel, l’amélioration de la compétitivité et l’accès aux marchés et le renforcement de la gouvernance administrative et économique.
Selon Sami Augustin Dabiré, trésorier général adjoint de l’Interprofession-miel, l’instrument qu’est l’interprofession joue un rôle très capital dans le développement de l’apiculture au Burkina Faso. C’est ainsi que grâce à sa collaboration avec la Direction du développement de l’apiculture, de nombreuses activités sont menées au profit des acteurs de la filière apicole. Des ateliers de formation, aux voyages d’études dans des fermes apicoles en passant par la participation aux différentes foires hors du Burkina. L’Interprofession- miel a permis de renforcer les compétences des apiculteurs à l’effet de jouer au mieux leur rôle de catalyseurs économiques dans toutes les régions du Burkina. Pour le trésorier général adjoint, si des acquis en matière de développement de l’activité apicole sont engrangés sous l’égide et l’impulsion de l’Interprofession-miel, de nombreux défis restent à relever afin qu’elle puisse jouer son rôle de vecteur de développement durable. Pour cela, il a estimé que l’Interprofession-miel doit s’investir davantage pour une amélioration conséquente du circuit de production et surtout d’exportation du miel burkinabè. Sami Augustin Dabiré a plaidé pour une baisse du coût de l’analyse du miel dans les laboratoires à travers une subvention de l’Etat ; toute chose qui, selon lui, permettrait aux producteurs moyens de pouvoir exporter leurs productions. Il a recommandé à l’Interprofession-miel de travailler à l’avènement d’un environnement propice à la survie de l’abeille. « La population des abeilles pourrait être en déclin si rien n’est envisagé pour sa protection », a confié, avec amertume, Sami Augustin Dabiré.
Kiswendsida Fidèle KONSIAMBO
Quelques mots sur la DDA
La Direction de développement de l’apiculture (DDA) est une direction technique de la Direction Générale des Productions Animales. Elle a en charge la conception et la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable de l’apiculture. A cet effet, elle veille sur la qualité sanitaire des produits de la ruche, sur l’accompagnement technique et matériel des producteurs et sur l’élaboration des normes de qualité. En collaboration avec le ministère en charge de la formation professionnelle, la DDA a élaboré des curricula de formation pour le Certificat de qualification professionnelle (CQP) qui a permis la mise en place de 4 incubateurs dans 4 centres apicoles afin de contribuer à l’entrepreneuriat dans le domaine apicole. Dans le domaine de l’enseignement et de la recherche en apiculture, des cours sont dispensés dans les écoles professionnelles sans compter le renforcement des capacités des acteurs dans le cadre de la formation continue.
Source : entretien avec Félicienne Windkouni Béré
Les maillons de la chaîne des valeurs de l’UDAM
- Le maillon équipement : les membres du maillon équipement sont chargés de la confection et de la fourniture des ruches et accessoires.
- Le maillon production : les coopératives installent les ruches, font le suivi et la récolte du miel ainsi que son acheminement à la miellerie. Le miel brut, après récolte, est conditionné dans des sceaux alimentaires qui sont fournis aux apiculteurs par la miellerie.
- Le maillon transformation et commercialisation : une fois le miel brut acheminé à la miellerie, le processus d’extraction, de filtration et de conditionnement est réalisé par une équipe technique, selon les règles en matière d’hygiène alimentaire. C’est après conditionnement et étiquetage que le miel est autorisé à la commercialisation.
Source : entretien avec Odile Sawadogo/Teri