Cette semaine, votre média actuburkina, s’est intéressé à un métier dont les pratiquants sont toujours dans l’ombre, ou dans l’anonymat total. Pourtant, leur touche, leur créativité, bref, leur art, participe pour beaucoup à la beauté d’un évènement : mariage, baptême, concert, etc. En effet, qui d’entre nous n’a, au moins une fois dans sa vie, pas été ébloui et séduit par la décoration d’un lieu abritant une cérémonie ? Nous sommes nombreux certainement. Mais dans l’ombre, il y a des hommes et des femmes qui ont cet art de créer du beau, dans leur veine. Celui que nous avons reçu s’appelle Salifou Zouré dit Rasta déco. « Venez, nous allons travailler ensemble parce que quand on fait le travail et que tout le monde est content, notre satisfaction est grande », affirme-t-il.
Depuis quand exercez-vous le métier de décoration ?
Je suis dans la décoration depuis les années 1983, donc cela fait plus de 40 ans maintenant. C’est en Côte d’Ivoire que j’ai tout commencé avant de venir au pays où je continue toujours ma passion.
Racontez-nous comment est venue cette passion pour la décoration ?
Quand je partais dans les évènements et que je voyais la salle bien décorée, cela me plaisait, me fascinait beaucoup. Et je me suis dit pourquoi ne pas m’y lancer pour me faire plaisir et en faire autant pour les autres. Je me suis donc décidé de me lancer et j’y suis depuis maintenant.
Le métier de décorateur est-il valorisé ici au Burkina ?
Le métier de décoration est reconnu et valorisé parce que nous avons de très grandes maisons de décoration mais le gros problème, pour être sincère, est que la décoration évènementielle n’est pas reconnue, pas valorisée. Quand je parle de décoration événementielle, je parle des spectacles, des concerts où les fonds de scènes sont mal travaillés. En effet, les organisateurs se contentent de venir attacher un fonds de scène ou une bâche imprimée à l’arrière qui flotte comme un drapeau, ce qui n’est pas joli. En la matière, il y a u ne certaine négligence mais si on essaie d’améliorer les choses dans ce domaine, ça va aller. Mais pour ce qui est des autres décorations, il n’y a rien à dire, beaucoup d’efforts sont faits.
Ce métier fait-il vivre son homme ?
Si, c’est une activité qui fait vivre celui ou celle qui l’exerce, elle est bien rémunérée. Moi je fais un peu plus dans la décoration évènementielle et à ce niveau, étant donné que ce n’est pas très bien connue, c’est un peu difficile mais pour ce qui est des autres décorations lors des mariages, anniversaires, baptêmes, etc, ça va. Mais il faut être sincère, pour ce qui me concerne, les portes me sont fermées à cause de certains préjugés. En effet, des gens, à cause du nom Rasta que je porte et mes dreads, sont réservés et s’abstiennent même de me faire appel. Mais quand c’est pour des décorations de spectacles, les gens me font confiance et se disent que je suis un artiste. De ce côté, je n’ai aucun souci.
Parlez-nous des difficultés que vous rencontrez ?
A part ce que j’ai relevé plus haut, je peux dire que j’ai la chance car je n’ai jamais travaillé pour quelqu’un qui est revenu me dire qu’il n’est pas satisfait. Non, je n’en connais pas. Mes clients ont toujours été satisfaits. Peut-être du côté financier, c’est difficile aujourd’hui comme c’est le cas d’ailleurs dans tout le pays. Avoir aujourd’hui son argent après avoir fait un travail, est devenu difficile. Ce sont de petits détails sinon, ça va.
Cela ne signifie-t-il pas quelque part que c’est parce que ce n’est pas valorisé ?
Je me dis que c’est sciemment fait. Je ne vais pas dénoncer qui que ce soit mais je sais que pour l’organisation d’un évènement quelconque, la décoration fait partie de la budgétisation. J’ai eu la chance de voir le budget d’un évènement où le coût de la décoration était à 250.000 F CFA. Mais après avoir fait le travail qui a bien été validé, Rasta déco n’a reçu que 50.000 F CFA. Même là, pour les avoir, c’était la croix et la bannière. Donc, pour moi, c’est un manque de volonté.
Cela fait plus d’une quarantaine d’années que vous êtes dans la décoration. Formez-vous des jeunes pour en assurer la relève ? Si oui, y a-t-il de l’engouement de la part de ces jeunes à exercer ce métier ?
Oui, beaucoup de jeunes m’approchent pour se faire former et je peux dire que beaucoup ont appris à mes côtés et volent aujourd’hui de leurs propres ailes. Je suis ouvert à toute personne intéressée par la décoration
Quel est votre meilleur souvenir dans ce domaine ?
C’est la décoration que j’ai faite pour l’artiste Freeman Tapily avec son concept «Vent de liberté ». C’était une décoration pour les détenus de la MACO et ces derniers étaient tellement contents, ils ont tellement apprécié que cela m’a fait chaud au cœur. Ma joie a été de les voir heureux un tant soit peu et cela n’a pas de prix.
Et votre pire souvenir déjà vécu ?
Je ne vois pas de mauvais souvenir. En tant que Rasta, je ne garde dans mon esprit que du positif.
Quels sont les matériaux que vous utilisez dans votre travail ?
Je travaille beaucoup avec les toiles, les tissus satin, les calebasses, les pagnes, et objets traditionnels, etc.
A part les tissus satin, on peut dire que c’est du matériel local ?
Oui, le pagne tissé, les calebasses, les paniers et bien d’autres objets de nos terroirs.
Quels conseils pouvez-vous donner à celui ou celle qui veut se lancer dans ce domaine ?
Je dirai à celui qui veut se lancer dans la décoration événementielle, de bien se former, de ne pas avoir les yeux rivés sur l’argent, car l’argent viendra après le travail bien fait. On dit souvent qu’avec l’expérience et la qualité de son travail, on peut faire tout donc il faut être patient.
Des projets, vous en avez certainement ?
Oui. C’est d’ouvrir un grand Centre de formation pour les jeunes, leur transmettre mon savoir-faire. C’est un projet qui me tient à cœur et je sais que ça va aller.
Quel message avez-vous à adresser à l’opinion publique…
Mon message, c’est d’inviter les uns et les autres à faire appel aux décorateurs lors des évènements heureux comme malheureux. Pour ce qui concerne par exemple les spectacles, la décoration ne fait pas forcément venir les spectateurs mais quand ils viennent et que la salle est bien décorée, la joie est grande. N’ayez pas peur des décorateurs, venez, nous allons travailler ensemble parce que quand on fait le travail et que tout le monde est content, notre satisfaction est grande. Ce n’est pas forcément une question d’argent, c’est une satisfaction morale qui n’a pas de prix.
Propos retranscrits par Keren LANKOANDE
(Stagiaire)
