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Arabie saoudite : L’or pieux du hajj

Début octobre, près de deux millions de pèlerins se rassembleront à La Mecque, en Arabie saoudite. Un devoir religieux devenu une véritable industrie touristique.

An 1435 de l’hégire, 2014 de l’ère contemporaine. Le 13 septembre, tout de blanc vêtus et du troisième âge pour la plupart, 290 Tunisiens ont embrassé leurs proches au terminal 2 de l’aéroport de Tunis-Carthage pour faire le voyage de leur vie, le grand pèlerinage annuel à La Mecque, cinquième pilier de l’islam que tout croyant est tenu de réaliser une fois dans sa vie.

Ils sont les premiers des 9 000 Tunisiens qui volent en ce moment vers les lieux saints de l’islam, La Mecque, ville de la Kaaba où Dieu aurait fait chuter la Pierre noire pour montrer à Adam et Ève où Lui dresser un autel, et Médine, la cité où le prophète Mohammed a trouvé l’asile et son dernier repos.

Pour chacun, il s’agit d’en revenir pur « comme le jour où sa mère l’a mis au monde », dit le hadith (parole du Prophète) rapporté par Boukhari. Guidés par des imams, encadrés par des équipes médicales, ils partageront pendant près d’un mois des chambres de cinq à six personnes pour accomplir les différents rites. Car, si certains pèlerins fortunés ont pu louer les services d’agences privées pour prier dans les meilleures conditions, l’essentiel des voyageurs est pris en charge par le ministère tunisien des Affaires religieuses, qui a fixé le 11 août le prix du séjour (visa, vol et hébergement compris) à 7 730 dinars (3 362 euros).

Une somme considérable, équivalente à près de deux années de salaire minimum dans ce pays. « Traditionnellement, il s’agissait très souvent de l’épargne de toute une vie, d’autant qu’il est prescrit que la dépense ne prive pas la famille ou le commerce de ses ressources », souligne Omar Saghi, commissaire de l’exposition « Hajj, le pèlerinage à La Mecque » à l’Institut du monde arabe de Paris, et auteur de Paris-La Mecque. Sociologie du pèlerinage (PUF, 2010).

« Il incombe aux hommes, – à celui qui en possède les moyens – d’aller, pour Dieu, en pèlerinage à la Maison [La Mecque]. » L’injonction coranique à accomplir le hajj exige d’emblée du pèlerin les moyens physiques, politiques et bien sûr économiques de réaliser ce voyage.

À l’époque où le Prophète transcrivait le Message divin, entreprendre ce périple était une longue entreprise qui devait être préparée minutieusement et qui, se faisant à pied, à cheval ou en chameau, pouvait durer des mois – parfois sans retour.

« Depuis la modernisation des transports, avec l’arrivée du chemin de fer au XIXe siècle puis de l’aviation au XXe siècle, et avec l’industrialisation du pays par les Saoud, l’organisation et la pratique du hajj se sont progressivement rapprochées de l’industrie touristique », explique Saghi. Via les aéroports de Médine ou Djeddah, les lieux saints ne sont plus qu’à quelques heures de vol de n’importe quel point de la planète et, alors qu’il fallait jadis abandonner ses activités pendant une longue période, il suffit aujourd’hui de poser quelques semaines de congés payés. L’engagement économique personnel ne revêt plus la même importance.

Une tente VIP sur le site de Mina

Certes, le pèlerinage demande encore une longue préparation. Au Maroc, les candidats au hajj s’inscrivent plus d’un an à l’avance et doivent attendre les tirages au sort pour savoir s’ils partiront, les places étant limitées par le système de quotas qu’impose l’Arabie saoudite à chaque pays. Les chanceux s’acquittent des frais au début de l’année de départ (44 300 dirhams, soit 3 940 euros en 2014 pour le voyage organisé par le ministère marocain des Habous et des Affaires islamiques).

De la prise en charge complète des plus indigents – comme au Bangladesh, où le Trésor finance 1 534 des 98 800 pèlerins cette année -, à la négociation par les gouvernements de tarifs de groupe, en passant par des politiques de subvention, les États musulmans cherchent à faciliter financièrement la pieuse obligation. L’Algérie a ainsi décidé, pour la première fois cette année, de subventionner à hauteur de 24 000 dinars (230 euros) le séjour de ses 28 000 pèlerins, sur un forfait de base de 321 000 DA pour vingt jours. Une aide qui vient à point nommé couvrir la hausse de 25 000 DA du prix du package observée par rapport à l’an dernier.

À La Mecque, les grands travaux en cours pour agrandir l’enceinte sacrée, moderniser les infrastructures et mettre aux normes internationales le parc hôtelier ont imposé une restriction des quotas accordés et fait grimper les coûts d’hébergement. Une hausse régulière qui fait grincer des dents les humbles aspirants au pèlerinage du monde entier.

Les plus aisés n’en ont cure. À Londres, l’agence Elkaadi Tours propose ainsi dix-sept jours de hajj au tarif de 8 625 euros par personne en chambre double. À ce prix-là, le dévot bourgeois logera dans un cinq-étoiles, au Rotana de La Mecque et à l’Intercontinental de Médine.

Il jouira d’une tente VIP sur le site de Mina, bénéficiera des services d’un guide, d’une voiture climatisée, de buffets royaux, etc. « Une manière de pratiquer le hajj qui fait aussi partie d’un nouveau standing ostentatoire conservateur. Certains pèlerins fortunés le combinent d’ailleurs avec un séjour à Dubaï ou aux Maldives, ou même à Jérusalem, en Israël ! » raconte Saghi.

Des « pèlerins-comptables »

Les amis bien placés peuvent être utiles pour obtenir le précieux visa, le gouvernement et le réseau diplomatique saoudiens en accordant chaque année des milliers à des personnalités locales, en sus des quotas imposés. Pieusement ou de manière intéressée, ces privilégiés les redistribuent à leur clientèle. « Une année, le Premier ministre libanais Saad Hariri en avait reçu 10 000 à lui seul, alors que les quotas nationaux étaient de 3 000 sunnites, 3 000 chiites et 2 000 Palestiniens », rappelle Fadi Sukkari, professeur d’anglais à l’université arabe de Beyrouth.

À 44 ans, ce père de cinq filles s’est déjà rendu huit fois à La Mecque pour quatre oumra (petit pèlerinage qui peut s’effectuer tout au long de l’année) et quatre hajj. Il a refait cette année une demande de visa. Selon Saghi, il pourrait faire partie de ces nouveaux « pèlerins-comptables qui se font du pèlerinage une conception périodique, rompant par là avec le hajj classique des « vieux ». Ils ont la cinquantaine et appartiennent aux classes moyennes islamisées qui s’intègrent à la société moderne et touristique tout en restant conservateurs ».

En 2001 et 2011, Sukkari a eu la chance d’être invité par des amis propriétaires d’agences de voyages : « Hôtel cinq-étoiles, buffets gargantuesques… J’ai pris 9 kilos en vingt et un jours ! » Ses deux autres hajj, il les a réalisés pour accompagner son épouse en 2010 et sa soeur en 2013, les femmes devant être accompagnées par un mahram – leur époux ou un parent avec lequel elles ne peuvent se marier.

À 2 500 euros par personne via l’agence à laquelle son père avait eu recours, les conditions étaient beaucoup plus spartiates. « Nous étions quatre dans une chambre et mon épouse partageait la sienne avec deux autres femmes », se souvient-il. Ses cinq filles attendent leur tour avec impatience, « mais cela coûterait une fortune », regrette Fadi Sukkari.

La Mecque, un haut lieu de la mondialisation

De toute la planète, l’or pieux afflue pour gonfler les réserves financières de l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints et grande ordonnatrice du pèlerinage. Le royaume est certes le deuxième exportateur mondial de pétrole, mais le chômage y est important, et les autorités ont tout intérêt à voir se développer une industrie touristique qui emploie près de 8 % de la population active.

Cette année, les 1,98 million de pèlerins prévus pour le seul hajj devraient rapporter 8,5 milliards de dollars (6,5 milliards d’euros environ), estime la chambre de commerce de La Mecque, avec une dépense moyenne de 3 500 euros par personne.

Une affluence impliquant une adaptation des infrastructures : l’apparence de la ville s’est transformée ces dernières décennies. Le mataf, l’esplanade où se situe la Kaaba, est en travaux pour augmenter sa surface de 400 000 m², la mosquée de Médine est agrandie, les infrastructures de transport sont complétées, le tout pour une facture de 62 milliards de riyals (12,8 milliards d’euros).

Un investissement pour l’avenir, le nombre d’aspirants au hajj ne cessant de croître et les 1,8 milliard de musulmans dans le monde représentant un marché potentiel de 63 000 milliards d’euros !

Le pèlerinage se transforme, il n’est plus l’antichambre de la mort qu’il représentait pour les anciens auparavant. Il prend désormais les traits d’un tourisme de masse répondant aux standards internationaux. « La Mecque était déjà un haut lieu de la mondialisation pour la société musulmane, les Saoud l’ont fait entrer dans l’ère globalisée », conclut Omar Saghi.

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