Des abattoirs pour volaille dans la ville de Ouagadougou, on en trouve très fréquemment dans les marchés et yaars où sont vendues les gallinacées. Très souvent, on voit des installations de fortune mises en place par des commerçants et où poulets, pintades et autres volailles sont tués et plumés au quotidien. Mais qu’il y ait un abattoir à volaille où des installations faisant office d’abattoir, les conditions dans lesquelles les gallinacées sont abattues, plumées avant d’être consommées laissent à désirer. Une immersion dans quelques yaars de la capitale nous permet d’affirmer que l’hygiène est la chose la moins partagée. Reportage !
Odeurs nauséabondes, gloussements de poulets à gauche comme à droite, avec des mouches survolant de toutes parts, voilà le spectacle à Koursin yaar, à la Cité An 3 de la ville de Ouagadougou. Selon les informations, il serait un des grands marchés de vente de volaille de la capitale, où des centaines de gallinacées sont tuées et plumées par jour. Cette thèse sera confirmée par le “responsable” du marché himself, Hamado simporé, lorsque nous le rencontrons le 7 décembre dernier. « Les marchés de volaille qui sont plus grands que Koursin yaar se comptent du bout des doigts. Cela fait plus de 40 ans que je suis dans ce marché qui fait partie des plus grands de la capitale », nous dit-il. Quarante-huit heures après cet échange, précisément le 9 décembre, nous y revoilà exactement à 16h 15mn sur les lieux. Le marché grouille encore du monde. “Madame, c’est poulet que vous voulez ? Il y a poulet local et poulet de chair ici, venez voir”, nous lance un jeune homme qui nous accoste à une des entrées du marché. “Non, c’est bon, merci. Bon marché”, répondons-nous avant de continuer notre chemin. Mais le même refrain est répété à chaque passage dans le marché.
Après quelques marches, nous voilà sous le hangar de Hamado Simporé, situé du côté Sud du marché. Etendu sur une chaise pliable “lipiko” fabriquée en bambou, le vieil homme se redresse à notre vue et dit ceci : “ Vous êtes là aujourd’hui ?”, se presse-t-il de nous demander, en mooré, avant même les salutations. “Oui, papa, nous sommes là comme promis”, répond notre photographe qui nous accompagne et nous sert de traducteur. Vêtu d’un complet boubou Faso Danfani, le bonnet sur la tête, le vieux Simporé nous serre la main et nous indique un banc pour nous asseoir juste à côté de lui. Ce que nous faisons. Il jette un regard à gauche puis à droite et il aperçoit un jeune garçon assis plus loin, concentré sur son smartphone. Il l’appelle et lui demande d’aller appeler “Elie”.
Ce dernier s’exécute puis revient deux minutes plus tard, en compagnie de Elie. Habillé en tee-shirt et pantalon noirs, mouillés par devant, Elie Nikiéma est ce genre de personnes à qui l’on serait tenté de céder un passage si jamais on le croisait dans un six-mètres. Avec ses cheveux touffus, il était très sale surtout avec les traces de matières fécales des poulets arrangés et les petites plumes sur ses habits et ses pieds, le tout couronné par les mouches qui lui tournent autour.
Quand il arrive sous le hangar du responsable, le vieux Hamado Simporé lui fait comprendre que les journalistes sont là. Nous nous levons puis le saluons. Il demande à mieux comprendre ce que l’on veut. Après nos explications, il donne son accord pour l’entretien. Mais lorsque nous demandons à nous rendre sur son “lieu de travail” pour les échanges, Elie s’oppose. “ Faisons-le ici même. Actuellement, notre coin est sale. Comme on vient de finir de travailler, on n’a pas encore nettoyé donc si on peut échanger ici même, ce serait mieux”, nous lance-t-il, en français. “Ce n’est pas grave, nous vous voulons dans votre environnement, sur votre lieu de travail”, rétorquons-nous. Après quelque temps d’hésitation, Elie se décide à nous y conduire. Nous prenons congé du vieux Simporé pour le “ bureau” de notre interlocuteur, juste à côté d’une des entrées du marché, à droite.
Nous n’avons pas eu le temps de pointer notre nez dans le marché, qu’une odeur nauséabonde nous accueille, en plus de l’accueil chaleureux à nous réservé par les mouches. Nous coupons tout d’un coup la respiration, pour voir s’il faut se retourner ou pas; tant l’air est irrespirable. Une folle envie de vomir nous envahit un instant mais nous faisons l’effort pour tenir le coup, surtout pour ne pas froisser notre interlocuteur. Pendant ce temps, Elie est sous un hangar, avec une terrasse bien carrelée mais ô combien répugnante ! En effet, cet espace est l’abattoir où des centaines de gallinacées sont égorgées et plumées au quotidien. « Nous avons construit cet abattoir sur fonds propres mais j’ai oublié l’année. En effet, il y a plusieurs responsables d’abattoir et chacun a au moins cinq ouvriers qui tuent et arrangent des poulets. Chaque patron a son espace bien précis, et s’occupe de son entretien », nous explique-t-il. Du sang mélangé à de la boue par-ci, des plumes par-là, des intestins et viscères non comestibles et autres excréta visibles tant sur le sol carrelé que dans des bidons d’huile découpés, sans oublier les mouches qui se les disputent. Voilà le spectacle sur les lieux. A cela s’ajoutent ces étagères faites en ciment, sur lesquelles les poulets sortis de l’eau chaude sont déposés pour être arrangés, et qui sont devenues noirâtres.
« C’est ce que je vous disais, nous venons juste de finir de travailler, donc les lieux sont sales. Mais nous allons tout nettoyer après pour les rendre propres », tente-t-il de nous convaincre. De l’autre côté, en face de l’abattoir, se trouve un caniveau d’à peine 30 cm, où stagnent des eaux sales noirâtres mélangées aux plumes avec une odeur à vous couper le souffle.
Ce caniveau, selon Elie, a été aménagé pour faciliter l’évacuation des eaux sales. « Comment arrivez-vous à travailler dans un environnement pareil ? », lui demandons- nous. « C’est une question d’habitude, moi, je ne sens rien », affirme-t-il en souriant. Ce qui n’est pas faux. Car il faut être un habitué des lieux pour y tenir, ne serait-ce que deux à trois minutes. Pendant que notre photographe tente de faire des prises de vues, nous nous retirons des lieux demandant à Elie de nous suivre pour le reste des échanges. Il s’exécute et nous suit jusque hors du marché. A la question de savoir comment lui et ses camarades gèrent les ordures, il répond :
Halilou Sanfo, « responsable d’abattoir » à Koursin yaar, qui a eu vent de notre présence, nous rejoint. En effet, son abattoir est situé à l’Est du marché. Contrairement à l’abattoir de Elie Nikiéma, site aménagé pour la cause, celui de Halilou est un espace à ciel ouvert avec un dispositif composé d’une table noircie par le sang des poulets égorgés au quotidien. A côté de la table, une grande casserole posée sur trois gros cailloux, également noircie par les années de feu qu’elle a eu à supporter. Une noirceur qui laisse penser aisément qu’elle a passé des années sans avoir reçu un semblant de « bain ». Sous la casserole, deux gros morceaux de bois de chauffe allumés, dégagent une fumée blanche. Là également, plumes, intestins et autres excrétas, etc., se disputent l’espace, avec toujours la « bénédiction » des mouches. Juste à côté, de grosses bassines contenant de l’eau ensanglantée, ayant servi au lavage des gallinacées. Dans un semblant de caniveau qui débouche sur une fosse visiblement pleine, stagnent des eaux usées noirâtres. Selon Halilou Sanfo, il leur faut débourser 60 000 F CFA pour vider la fosse. Et à l’en croire, lui et ses pairs s’apprêtent d’ailleurs à vider ladite fosse. Tout comme Elie Nkiéma, Halilou Sanfo souhaite que la mairie leur vienne en aide avec un bac à ordures pour les débarrasser des ordures.
Autre marché à volaille visité, Naab Raaga dans le quartier Samandin, à Ouagadougou. Pas d’abattoir proprement dit mais de petits dispositifs mis en place par des particuliers. L’abattage et le plumage se font à ciel ouvert, sur des tables noircies par le sang des poulets égorgés au fil du temps. Ousmane Guigma est un “plumeur” dans ce marché depuis 2013. La trentaine bien sonnée, avec ses dreads, pantalon et tee-shirt bien propres, Ousmane Guigma reconnait que les conditions d’hygiène sur leurs lieux de travail laissent à désirer. « Nous faisons des efforts. Chaque soir, nous avons quelqu’un qui vient enlever les ordures. Pour les eaux sales, nous avons une fosse et quand elle est remplie, nous faisons vider. Pendant la saison des pluies, nous souffrons à cause des odeurs et autres. Nous faisons de notre mieux mais nous avons besoin que la mairie nous aide », déclare-t-il.
Contrairement au marché Naab Raaga de Samandin, à la Cité An 2, le marché dispose d’un abattoir et le responsable est Saïdou Nikiéma. Il explique comment ils ont pu bénéficier dudit abattoir : « En 2006, le maire d’alors, Casimir Marin Ilboudo, nous a fait bénéficier d’un projet qui était la construction de l’abattoir. Je sais que nous avons contribué à hauteur de 30%, équivalant à 300 000 F CFA. L’abattoir a été construit mais avec le temps, tout est dégradé et demande à être refait. Nous avons, à maintes reprises, reçu la visite de la mairie, de la police et nous avons soulevé le problème mais jusqu’à présent, rien n’a encore été fait ». Cet espace aménagé, avec une toiture éventrée, le sol carrelé par-endroits, est dans un état de dégradation, laissant place à de la boue mélangée à du sang des poulets égorgés. Les grillages entourant l’abattoir sont également sectionnés à certains endroits. Les quelques passages d’eaux usées débouchent sur une fosse qui était pleine à notre arrivée.
“ Quand la fosse est pleine, nous appelons les videurs de fosses septiques pour qu’ils viennent vider à 40 000 F CFA. Pendant la saison pluvieuse, l’eau y rentre si fait qu’elle se remplit vite, ça n’atteint même pas le mois. Mais présentement, on peut faire un mois et même plus avant que la fosse ne se remplisse et on vide », confie M. Nikiéma. Quant aux ordures, selon les propos du responsable de l’abattoir, elles sont rassemblées chaque soir pour être enlevées par des conducteurs de tricycles. « Pour ce qui concerne les intestins, ce sont les éleveurs de porcs qui viennent les ramasser pour aller donner à leurs porcs », explique-t-il. Et d’ajouter que leur souhait est que l’abattoir soit réhabilité et éclairé pour faciliter leur travail. « Nous demandons de l’aide pour mieux arranger notre site, pour que les clients soient contents ». Même vœu formulé par Soumaila Bonkoungou, un employé de l’abattoir.
Une chose est sûre, ces conditions d’hygiène déplorables dans ces abattoirs ont des conséquences graves sur la santé des travailleurs que l’on appelle les “plumeurs”. « Ils ont des brûlures aux mains, d’autres passent le temps à tousser. Aussi, ils utilisent des produits chimiques dans l’eau pour faciliter leur travail, c’est-à-dire plumer beaucoup de poulets en un temps record. Toute chose qui a un impact sur leur respiration », souligne Thierry Bado, technicien d’Etat du génie sanitaire. A cela s’ajoutent les maladies telles que les zoonoses, la Salmonellose, la Campylobactériose, potentiellement graves. M. Bado conseille à ceux qui font ce travail de toujours porter des gants de protection, des tabliers et des charlottes (bonnet) pour éviter tout contact direct avec la peau des poulets et pour protéger leurs mains des plumes, du sang et autres saletés. « Ils doivent également s’assurer de travailler dans un environnement propre (vider les poubelles trois fois par jour, balayer et nettoyer le sang) et bien ventilé pour réduire les risques de contamination croisée et de propagation de maladies », explique-t-il. A son avis, tout comme la viande des ruminants, celle de la volaille doit aussi être inspectée.
Colette DRABO