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Terrorisme au Burkina : Quelle armée pour combattre?

Dans cette tribune, Mahamoudou Savadogo, expert en sécurité, dresse un état des lieux des défis sécuritaire que doit affronter le Burkina Faso, au lendemain du coup d’État qui a renversé Sandaogo Paul-Henri Damiba. Il fait savoir que la crise sécuritaire que vit le pays ne s’estompera pas d’ici là et il en appelle à une réforme de l’armée burkinabè.

1. Après les mobilisations populaires et les agitations du week-end, nous avons de bonnes raisons de croire que le Capitaine Traoré a aujourd’hui de nombreuses cartes en main pour mener des actions en vue d’une sortie de la crise.

2. Toute la question est donc maintenant de savoir quelles sont les actions à mener, et, plus globalement, quelle est la stratégie à adopter pour gagner cette guérilla, la plus douloureuse et meurtrière de l’histoire de notre pays.

3. Au préalable, il faut avoir conscience de la profondeur de la crise qui nous affecte, et se dire franchement en se regardant droit dans les yeux : nous ne gagnerons pas cette guérilla en 6 mois, ni même en 1 an. Il y a un langage de vérité à tenir à la population.

4. Ce que nous pouvons faire en revanche, c’est amorcer une réforme générale de notre Armée, dessiner l’architecture d’une Défense nationale solide à même de remporter des victoires sur le terrain, et ce, dans une perspective de longue durée. C’est ce à quoi nous souhaiterions contribuer ici.

Une parenthèse : nous nous plaçons ici sur un terrain strictement militaire, mais il y a bien sûr des actions à envisager dans d’autres domaines : (i) nous pouvons aussi faire une ouverture pour susciter des ralliements possibles de certains combattants qui s’opposent à nous (sous certaines conditions bien sûr), et (ii) ces réformes militaires doivent souvent s’inscrire dans des réformes politiques et institutionnelles globales à entreprendre.

● Au sujet de la négociation, nous avons toutefois tendance à penser que cette réforme sera plus efficace si nous augmentons nos capacités militaires et retrouvons un rapport de force favorable. Car il est évident que tant que nous ne sommes pas forts militairement, puis victorieux petit à petit sur le terrain, nous n’existerons pas dans cette guerre.

Pour élaborer notre stratégie, la question à se poser est : à qui avons-nous affaire ? qui est l’ennemi que nous cherchons à combattre ?
● a. Les groupes armés qui meurtrissent aujourd’hui le Burkina Faso peuvent avoir des buts différents : ils peuvent vouloir développer des zones de trafic, ou encore vouloir gagner en influence dans certains territoires, voire mettre en place des formes de gouvernance alternative.
● b. Ils n’interviennent pas à visage découvert, mais plutôt sous la forme de petits groupes capables de se dissimuler au sein des populations civiles et se fondre en elles. Nous sommes donc tantôt dans une guerre conventionnelle, tantôt dans celui d’une guérilla. En effet, nous sommes en théorie dans une guerre asymétrique, mais nos ennemis sont capables des deux : de se dissimuler et de se répartir, mais aussi de constituer des unités qui manœuvrent et utilisent des appuis. Ils l’ont d’ailleurs prouvé à plusieurs reprises au Sahel en détruisant des unités amies du volume d’une compagnie (plus de 100 hommes)
● c. Ces groupes sont mobiles, connaissent parfaitement leur terrain d’intervention, et, surtout, sont capables de converger et de se rassembler en nombre pour mener des opérations contre nos FDS. Ils disposent d’une logistique performante et opèrent sur plusieurs fronts, dans des zones transfrontalières, ce qui leur donne une capacité de repli importante, car ils créent ainsi des zones de confort.
● d. Sur le plan de l’équipement, ils disposent aujourd’hui de mitrailleuses lourdes (en véhicule, à terre ou anti-aériennes), ont des mortiers qui leur permettent de toucher une cible à plusieurs kilomètres de distances, ou encore des armes anti-char. Des lance-roquettes de fortune ont déjà été observés au Sahel, leur donnant l’équivalence d’une pièce d’artillerie.

7.Qu’avons-nous à leur opposer ?
● a. Nous avons une armée divisée, et, pour schématiser, qui souffre d’une fracture forte entre, d’une part, des officiers « climatisés » et bien nourris, et, de l’autre, des subalternes qui se battent corps et âmes sans moyens sur le terrain.
● Nous avons une armée qui s’auto-neutralise et se détruit de l’intérieur : une armée qui fait la guerre à la Gendarmerie, une Gendarmerie qui est sur le terrain sans moyens, abandonnée à elle-même, et qui lutte pour son autonomie ; une police qui se sent brimée, et frustrée, qui n’a pas une doctrine d’emploi adaptée à ses moyens et clairement édictée ; des forces paramilitaire des eaux et forêts, douanes, GSP sous exploités ou tout simplement écartées de la lutte ; des VDP de plus en plus hors de contrôle, etc.
● b. Nous avons une armée dispersée dans des casernes isolées les unes des autres, qui interviennent sans cohérence, avec une logistique insuffisante, et surtout, qui n’ont pas la capacité de manœuvre de nos ennemis.

c. Nous avons des forces spéciales, certes, mais qui sont davantage assimilables à des élites malheureusement dédiées à des missions de protection des autorités, plutôt qu’à la conduite d’opérations spéciales sur le terrain et contre l’ennemi (en appui aux autres forces combattantes). Or, les FS devraient jouer leur rôle dans la profondeur ou pour des missions ciblées (RENS, dossiers d’objectifs, neutralisation de chefs ennemis, etc.).
● d. Enfin, nous n’avons pas à la tête de cette Armée une capacité de lecture critique des situations vécues sur le terrain et la capacité à avoir une vision englobante et stratégique permettant de prendre les bonnes décisions. Cette armée manque de jugement, elle ne fait que reproduire des schémas classiques occidentaux dont elle n’a ni les moyens, ni la philosophie.

● 9. En résumé

● Nous avons une armée qui fait la guerre que les ennemis d’en face attendent
● Cette armée doit être ordonnée pour pouvoir être coordonnée.

● Nous restons cantonnons sur des points fixes, dans l’attente d’une attaque de l’ennemi… et nous perdons de façon récurrente le face-à-face avec notre ennemi. Nous vivons des erreurs tactiques catastrophiques et meurtrières de façon répétée depuis 6 ans…

8. Que faut-il faire ?

● a. Revenons sur ce qui pourrait être notre objectif : reprendre le contrôle de certaines zones et certaines parties du territoire, pour empêcher l’ennemi d’y mener ses opérations en toute liberté, et l’empêcher d’attaquer nos forces.
● b. Pour cela, il faut rétablir un rapport de force favorable pour mener des actions frontales contre l’ennemi. Il faut pouvoir mener des actions de nature multiple sur un temps répété : se renseigner sur l’ennemi, surveiller, protéger les populations, contrôler, etc.
● c. Ces multiples actions doivent s’appuyer sur des bases opérationnelles avancées (600 hommes), puis répartir un dispositif d’actions (100-150 hommes) sur des zones plus limitées, susceptibles de mener des attaques, en bénéficiant d’appui (logistiques, aériens, etc.) de la base opérationnelle.
● d. Deux éléments complémentaires doivent être respectés : (i) il faut répéter ces actions de façon régulière et dans un rythme soutenu de façon à éviter une nouvelle implantation de l’ennemi, et (ii) il faut en parallèle réinstaller les services de l’État les plus essentiels pour la population (eau, santé, éducation).
● Empêcher l’ennemi d’avoir la libre disposition d’une zone en exerçant une forte pression sur cette zone.
● Il faut former les cadres et les hommes, il est possible de former des officiers en six mois et des sous/officiers en 3 mois au lieu de deux ans.

9. Qu’est-ce qu’il nous faut ?
● Il nous faut un chef politique patriote, lucide et ordonné

● Un chef militaire patriote, lucide, ordonné, brillant et ingénieux

● Il nous faut faire un audit de l’armée, pour établir un constat lucide, froid, et exhaustif

● Il nous faut une armée capable de conduire la guerre qui l’attend

Mahamoudou SAVADOGO

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