Le Vatican a béatifié, le 15 juin dernier, en la solennité de la Sainte Trinité, à Rome, un jeune Congolais en la personne de Floribert Bwana Chui Bin Kositi. Pour mieux comprendre la béatification dans l’Eglise catholique, nous avons approché l’abbé Justin Zangré, Curé de la paroisse universitaire Saint Albert le Grand de la Rotonde. Il revient essentiellement sur le processus de canonisation, suivant les quatre marches de l’escalier de la sainteté et surtout, sur l’état d’avancement des dossiers des quatre candidats burkinabè à la béatification. Lisez !
« Le Pays » : Les fidèles catholiques ont communié récemment à une béatification. Pourriez-vous nous en dire quelque chose ?
Le dimanche 15 juin 2025, en la solennité de la Sainte Trinité, dans la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome, le cardinal Marcello Semeraro, préfet du Dicastère des Causes des Saints, a présidé la sainte messe de béatification de Floribert Bwana Chui Bin Kositi. Né le 13 juin 1981 à Goma en République démocratique du Congo, Floribert est un jeune douanier et membre de la Communauté de Sant’Egidio. L’élément déclencheur qui a motivé l’instruction de sa cause de canonisation, fut une situation de corruption contre laquelle il s’est opposé sans concession. Les faits se sont déroulés en 2007, date à laquelle il a refusé de laisser entrer des denrées avariées contre des pots-de-vin. Il fut alors enlevé et torturé par ses bourreaux, puis sauvagement tué à 26 ans. C’est ainsi qu’il est reconnu martyr pour haine de la foi et de l’intégrité morale. Floribert a été reconnu martyr de la corruption, parce qu’il a accepté de donner sa vie en refusant une corruption destructrice, néfaste à la dignité humaine, surtout celle des plus pauvres et des innocents.
Le pape François, de vénérée mémoire, l’a présenté comme modèle pour la jeunesse, car son choix était courageux face à l’égoïsme. Il nous montre qu’il est possible de rejeter toute complicité malveillante qui tire l’humanité vers le bas.
Qu’est-ce que la sainteté ?
L’Eglise catholique confesse que Dieu seul est saint (cf. Ap. 15, 4). Il partage souverainement sa sainteté avec ses créatures faites à son image. Celles-ci en retour adorent Dieu par un culte dit de latrie. L’Eglise catholique croit aussi et fermement que ceux qui ont vécu dans la foi et dans une conscience droite, participent à la gloire de Dieu par l’élan de sa miséricorde, et peuvent être vénérés par les vivants au cours de leur pèlerinage terrestre.
La sainteté, dans l’Eglise, est la reconnaissance officielle que la personne qui a vécu dans la foi et dans une conscience droite, vit au Ciel avec Dieu. Il bénéficie ipso facto de la part de toute l’Eglise, d’une vénération en tant qu’intercesseur et modèle de foi et de vertus à imiter.
« Pour la béatification d’un Vénérable non-martyr, il faut un miracle prouvé scientifiquement inexpliqué, survenu après la mort »
Comment obtenir le titre de Bienheureux dans l’Eglise catholique ?
On est déclaré Bienheureux dans l’Eglise catholique, au bout d’un processus canonique rigoureux appelé procès de canonisation, dont voici les grandes lignes.
Rappelons pour commencer, que la béatification est la reconnaissance par l’Eglise, au moyen d’un acte papal, de la vie sainte qu’un chrétien catholique a menée sur terre. Cette béatification est l’avant-dernière étape des quatre étapes principales de la canonisation qui est l’aboutissement du processus où la personne défunte est déclarée définitivement sainte. Suivons pas à pas les quatre marches de l’escalier de la sainteté.
D’abord, il y a l’ouverture de la cause de canonisation du défunt, au niveau diocésain ou au niveau de sa famille spirituelle. La cause est adressée au Dicastère pour les Causes des Saints.
L’Eglise diocésaine ou la famille spirituelle reconnaît officiellement que la vie du Serviteur ou de la Servante de Dieu, mérite d’être examinée pour un éventuel chemin vers la béatification.
Le titre de « Serviteur ou de Servante de Dieu » est le premier titre officiel qu’une personne reçoit lorsqu’est ouverte sa cause de béatification et canonisation dans l’Eglise catholique.
Ensuite, la personne défunte accède au titre de Vénérable. Le titre de Vénérable signifie que l’Eglise catholique reconnaît officiellement que la personne défunte a vécu une vie de foi, d’espérance et de charité d’une manière exemplaire et héroïque. Ce n’est pas encore la béatification : aucun culte public n’est autorisé, mais la personne est reconnue comme modèle de sainteté pour les fidèles.
En troisième lieu, le candidat à la canonisation est déclaré Bienheureux : c’est la béatification. A cette phase cruciale, l’Eglise reconnaît un miracle obtenu par son intercession après sa mort, sauf pour les martyrs qui n’ont pas besoin de miracle. A cette étape, la personne est vénérée de façon locale.
A partir du titre de Bienheureux ou de Bienheureuse, l’Eglise reconnaît que la personne est auprès de Dieu dans la gloire du Ciel, parce qu’elle a mené une vie chrétienne exemplaire. A cette étape, la personne peut être publiquement vénérée, mais de manière limitée : dans un pays, un diocèse, un ordre religieux…
Pour la béatification d’un Vénérable non-martyr, il faut un miracle prouvé scientifiquement inexpliqué, survenu après la mort, à la suite d’une prière par son intercession. C’est le pape qui approuve le miracle et autorise la béatification.
Dans le cas d’un martyr, aucune preuve de miracle n’est requise. Il suffit de prouver que la personne a été tuée « en haine de la foi » selon l’expression latine odium fidei.
Enfin, le fidèle chrétien catholique est déclaré saint : c’est la canonisation qui marque l’aboutissement de tout le processus de la cause. L’Eglise reconnaît un second miracle par l’intercession de la personne. A ce moment, elle peut être vénérée dans toute l’Eglise universelle.
Qui peut être béatifié ou canonisé ?
Toute personne baptisée dans l’Eglise catholique, morte en réputation de sainteté ou de martyre, et dont la vie a été exemplaire par sa foi, ses vertus chrétiennes ou son don de soi, peut être proposée pour la béatification. La personne doit avoir vécu en pleine communion dans l’Eglise catholique et remplir toutes les conditions du processus qui conduit à la canonisation qui est le terminus ad quem.
« Dii Alfred Diban Ki‑Zerbo est le premier catéchiste et une figure historique remarquable de la Haute-Volta, actuelle Burkina Faso »
Quel est l’état d’avancement des causes de canonisation actuellement en cours pour des figures catholiques du Burkina Faso ?
Cette question permet de rappeler que quatre causes de canonisation sont en instruction dans l’Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso. Il s’agit de façon chronologique, selon les dates de décès de :
Dii Alfred Diban Ki‑Zerbo (1878-1980) – Père Alexandre Toé (1967-1996) – Mgr Dieudonné Yougbaré (1911-2005) – Cardinal Paul Zoungrana (1917-2000).
- Pour la cause de Dii Alfred Diban Ki‑Zerbo
Il est le premier catéchiste et une figure historique remarquable de la Haute-Volta, actuelle Burkina Faso. Reconnu « Serviteur de Dieu », en 2001, la cause suit son cours à Rome. La cause de Dii Alfred Diban Ki-Zerbo a également franchi la deuxième étape, puisqu’il porte le titre de Vénérable. Le diocèse continue de sensibiliser sur la cause, d’inciter à la prière, d’organiser des conférences et des colloques, comme celui de novembre 2022 à Dédougou, afin de recueillir des témoignages, en espérant le miracle nécessaire pour la béatification du serviteur de Dieu qui porte déjà le titre de Vénérable.
- Pour la cause du Père Alexandre Toé
Religieux Camillien, décédé à Rome à 29 ans, il est reconnu pour sa proximité avec les malades et sa vie spirituelle admirable. L’enquête diocésaine a été ouverte les 14-15 mars 2024, au vicariat de Rome, avec audition de témoins, pour examiner ses vertus héroïques. Pour l’instant, nous sommes à l’étape du titre de Serviteur de Dieu. Le dossier progresse et nourrit grand espoir.
- Pour la cause de Mgr Dieudonné Yougbaré
Rappelons-nous qu’il est le premier évêque d’Afrique de l’Ouest après Vatican II. Sa cause est en préparation au niveau diocésain, encouragée par la vox populi et l’Eglise Famille de Dieu à Koupèla. Un colloque a été organisé autour de sa figure pour motiver la cause de canonisation en 2017, à l’occasion des 100 ans de sa naissance. Elle est toujours dans sa phase diocésaine.
- Pour le Cardinal Paul Zoungrana
Il fut Archevêque Métropolitain de Ouagadougou, une figure éminente de l’épiscopat africain de son temps. La cause a été ouverte solennellement le 27 septembre 2023 en la Cathédrale de Ouagadougou, sous la présidence du Cardinal Philippe Ouédraogo, alors Archevêque Métropolitain. Actuellement, c’est la phase diocésaine qui consiste en la collecte de témoignages et d’éléments sur ses vertus héroïques et éventuels miracles. Le dossier avance lentement mais sûrement
Pour que les causes de béatification introduites au Burkina Faso aboutissent, que doivent faire le clergé et les fidèles laïcs ?
Pour l’aboutissement de toutes ces causes de canonisation, le clergé et les fidèles laïcs de l’Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso, doivent s’impliquer activement, à la fois spirituellement, pastoralement, intellectuellement, matériellement et financièrement.
Voici ce que chacun peut faire, selon son état et ses responsabilités.
– Au niveau du clergé (évêques, prêtres, diacres) :
- promouvoir la mémoire des candidats dans les prières, les homélies, les retraites, les sessions de formation, les conférences ;
- intégrer leurs témoignages dans la catéchèse, les activités paroissiales, les écoles catholiques, tous les espaces favorables ;
- organiser des célébrations annuelles (commémoration, messe votive, veillée de prière…) ;
- constituer et soutenir activement les commissions diocésaines chargées de la cause ;
- encourager la prière et le culte local en favorisant la prière communautaire pour leur béatification ;
- établir des lieux de mémoire : chapelles, reliques, expositions, pèlerinages, musées ;
- autoriser, avec prudence, la vénération privée recommandée dès qu’il y a titre de « Serviteur de Dieu » ;
- collaborer avec Rome en désignant un postulateur compétent pour chaque cause ;
- veiller à une documentation rigoureuse et au bon déroulement du procès canonique.
– Au niveau des fidèles laïcs :
- approprier ces figures en cherchant à connaître leur vie, leur foi, leurs vertus par des publications, vidéos, pièces de théâtre, catéchèse…) ;
- témoigner publiquement des grâces obtenues par leur intercession.
- Participer aux activités organisées autour des causes (conférences, pèlerinages, colloques) ;
- prier pour leur béatification, personnellement, en famille, en CCB, dans les Coordinations, en paroisses ;
- déclarer et faire reconnaître les miracles ou grâces éventuellement obtenus (avec documents médicaux fiables si besoin) ;
- s’engager dans l’Eglise en imitant leur exemple de foi, de service, de fidélité.
- soutenir financièrement, matériellement et techniquement les causes en cours.
Un mot pour conclure ?
A la fin de cet entretien consacré à la procédure de canonisation des fidèles catholiques morts en odeur de sainteté sur la terre de nos ancêtres, et dont les causes sont pendantes, je prie pour leur heureux aboutissement, et je rappelle que la sainteté ou la droiture de vie est une quête indispensable pour l’Homme. Dans l’Ancien Testament, Dieu parlait à son peuple en ces termes : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lévitique 19, 2). Cet appel à la sainteté est amplifié par Jésus, l’infiniment Saint, quand il s’adresse à ses disciples en leur disant : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est saint » (Matthieu 5, 48).
Puissent tous les hommes et toutes les femmes, éclairés par la foi ou par la lumière de la conscience, vivre en recherchant le Bien suprême dans leur existence mortelle. Le Royaume de Dieu est ouvert à tous, et seuls les saints ou les hommes bien et l’homme de bien y entreront. Le saint ou l’homme bien, même s’il n’est pas parfait, tend chaque jour de tout son être à vivre dans la droiture du cœur qui promeut et défend la dignité de la personne humaine créée à l’image de Dieu selon la Sainte Bible.
Propos recueillis par Kiswendsida Fidèle KONSIAMBO