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PUTSCH MANQUE DU 16 SEPTEMBRE 2015: Retour sur les faits

Les évènements des 30 et 31 octobre 2014 ont marqué un tournant décisif dans l’histoire du peuple burkinabè. Après le départ de Blaise Compaoré qui a totalisé 27 ans de pouvoir, un régime de transition a été mis en place pour, non seulement gérer les affaires courantes de l’Etat, mais aussi et surtout organiser des élections. Alors que l’on s’acheminait inexorablement vers ces élections, initialement prévues pour se tenir le 11 octobre 2015, intervient un coup d’Etat, le 16 septembre 2015. Un autre incident venait ainsi émailler la marche du peuple burkinabè vers la démocratie. Mais, déterminé, il ne se laissera pas faire avec pour mot d’ordre : « Résistance ». Une résistance qui a fini par avoir le dernier mot sur les putschistes. Retour sur une période trouble, de suspense et pleine d’incertitudes.

La vie suivait son cours normal, dans la matinée du 16 septembre 2015, au « pays des Hommes intègres ». L’actualité, ce jour-là, avait trait aux fonctionnaires qui venaient de se plier au principe de la journée continue (entrée en vigueur le 15 septembre 2015) dans l’Administration publique. Les usagers, quant à eux, s’affairaient à intégrer désormais cette donne dans leurs habitudes et étaient loin de s’imaginer que c’était le calme avant la tempête. En effet, vers 15h, une rumeur selon laquelle des soldats de l’ex-RSP (Régiment de sécurité présidentielle) auraient pris le traditionnel Conseil des ministres en otage, prenait forme et se confirmait au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient. Les journalistes de plusieurs rédactions avaient mis le cap sur le palais de Kosyam où se tenait la rencontre, pour en avoir le cœur net. Mais, impossible pour eux d’aller plus loin une fois arrivés à l’intersection entre le Boulevard Mouammar Kadhafi et l’Avenue Pascal Zagré. Des blindés y barraient la voie et les éléments qui y étaient, menaçaient tous ceux qui voulaient s’y aventurer. Une situation inhabituelle qui ne faisait que confirmer davantage la rumeur sur la prise d’otages. Pour certains, c’était un énième coup de sang d’éléments de l’ex-RSP qui, en son temps, en voulaient au Premier ministre Yacouba Isaac Zida. D’autres par contre, craignaient le pire eu égard au modus opérandi. Mais, rien n’était moins sûr, car aucune information fiable ne filtrait des grilles du palais présidentiel.

Il était déjà 16h 30mn et ce dont on était sûr, c’est que quelque chose n’allait vraiment pas à Kosyam. Les supputations et la psychose collective prirent fin autour de 17h 30mn, avec la déclaration du président du Conseil national de la Transition (CNT), Chériff Sy. « Le devoir nous appelle, car la nation burkinabè est en danger. Des éléments du RSP ont fait irruption dans la salle du Conseil des ministres aux environs de 14h 30 mn et ont pris en otage le président du Faso, Michel Kafando, le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, le ministre de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale, Augustin Loada et le ministre de l’Habitat et de l’urbanisme, René Bagoro », pouvait-on lire dans cette déclaration. « Une atteinte grave à la République » contre laquelle le président du CNT  a appelé le peuple à se mobiliser. Les choses étaient donc claires et des organisations de la société civile comme le Balai citoyen et le CAR appellent au rassemblement. Très vite, des groupes de jeunes se forment dans les quartiers et commencent à arpenter les grandes artères de la ville de Ouagadougou. Au quartier Patte d’Oie, la mobilisation est forte et la population veut marcher sur Kosyam pour demander la libération des otages. « Libérez Kosyam ! », « A bas le RSP ! », scandaient-ils. Mais, les putschistes vont faire échec à ces initiatives en dispersant  non seulement les manifestants, mais également en faisant irruption dans les rédactions de certains médias, relais instantanés des tentatives de dénonciation de la prise d’otage, pour les sommer d’arrêter leurs émissions. C’est ainsi que les signaux de plusieurs Radios ont été interrompus. Des coups de feu sporadiques se faisaient entendre. D’ores et déjà, pour plusieurs observateurs, ce n’était plus une simple prise d’otages, mais un coup d’Etat. Les échauffourées entre RSP et manifestants se poursuivaient dans certains quartiers tandis que dans d’autres, l’accès avait été bloqué par des jeunes. Et, c’est peu dire que d’affirmer que ce jour-là, les habitants de Ouaga ont dormi tôt alors que dans les autres grandes villes du Burkina Faso, la mobilisation ne faiblissait pas. Mais si Ouaga a dormi tôt, c’était pour se réveiller tôt. En effet, le 17 septembre, au petit matin, la population était aux aguets, attendant une certaine déclaration qu’allait faire la hiérarchie militaire qui était en conclave au cours de la nuit.

« La bonne nouvelle » par le président béninois tarde à venir

Mais rien. En lieu et place de cette déclaration, c’est le Lieutenant-colonel Mamadou Bamba qui fait une apparition sur la chaîne nationale (RTB), vers 7h. Il y annonce la dissolution des organes de la Transition pour être remplacés par le Conseil national pour la démocratie (CND). A 9h 23mn précises, Mamadou Bamba refait une autre apparition à la RTB. « Les forces patriotiques et démocratiques alliant toutes les composantes de la Nation et réunies au sein du CND ont chargé le général de Brigade Gilbert Diendéré, d’assumer la fonction de président du CND », a-t-il dit dans son « communiqué n°1 ». Cela, a-t-il poursuivi, pour « mettre un terme au régime déviant de la Transition ». La thèse du coup d’Etat était maintenant avérée, avec pour nouveau président, Gilbert Diendéré. Comme il fallait s’y attendre également, un couvre-feu est instauré de 19h à 6h et les frontières sont fermées. Les Burkinabè, dans leur ensemble, refusent cet état de fait. Les intimidations, la violence et les morts par balles n’ont pas suffi à entamer leur détermination à faire échec à ce coup de force. Les condamnations fusaient de toutes parts. L’actuel président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, sur son compte twitter, avait publié ceci : « Je tiens à réaffirmer avec force que la Transition politique engagée depuis novembre 2014 doit aller jusqu’à son terme et que le calendrier électoral doit être scrupuleusement respecté, dans l’intérêt supérieur des Burkinabè ». « L’UPC appelle ses militants, sympathisants et l’ensemble du peuple burkinabè à rester mobilisés et à s’organiser pour défendre la démocratie et l’Etat de droit », avait déclaré Zéphirin Diabré, président du parti. La France et l’Union européenne condamnent aussi le coup d’Etat. « La présidence française condamne fermement le coup d’Etat qui a eu lieu au Burkina Faso. Elle appelle à la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées, à la remise en place des autorités de la Transition et à la reprise du processus électoral », a indiqué pour sa part l’Elysée. Pendant ce temps, la résistance s’organisait au pays. Si à Ouagadougou les regroupements ont du mal à se faire, ce n’est pas le cas dans les grandes villes. Là-bas, les populations s’étaient réunies par centaines pour dire non au RSP. A Bobo-Dioulasso, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant le camp Ouezzin-Coulibaly pour demander à l’armée de prendre ses responsabilités. Autour de midi, les répressions qu’ont subies les Ouagalais se sont fait sentir de plus en plus du côté du Centre hospitalier national Yalgado Ouédraogo qui enregistrait des blessés. Dans la foulée, le président du Conseil national de la Transition, Chériff Sy, annonce qu’il assure l’intérim du pouvoir, le président Kafando étant empêché de l’exercer, et demande à la hiérarchie militaire de mettre fin à la forfaiture. Dans la sous-région, des présidents s’organisent pour intervenir. La CEDEAO décide d’envoyer des émissaires, en l’occurrence le Sénégalais Macky Sall et le Béninois Yayi Boni. Le 18 septembre, Gilbert Diendéré rencontre les secrétaires généraux des ministères et leur demande d’assurer la gestion des affaires courantes dans un contexte où les syndicats ont décidé d’observer une grève illimitée. Annoncé depuis la veille, le président sénégalais atterrit enfin à l’aéroport international de Ouagadougou. Il était 12h lorsqu’il a été accueilli par le président du CND, Gilbert Diendéré. Il a été suivi par le président béninois, Yayi Boni. Accompagnés du président du CND, ils mettent le cap sur l’Hôtel Laïco où allaient se dérouler les négociations. Le même soir, le Burkina Faso est suspendu des instances de l’Union africaine. Le 19 septembre, dans la matinée, tous les regards sont rivés sur l’hôtel Laïco où les médiateurs de la CEDEAO ont rencontré les forces vives et les Hommes politiques. En début d’après-midi, accompagnés des Hommes de médias, les médiateurs rendent visite au président de la Transition, Michel Kafando, libéré et placé en résidence surveillée. Mais, toujours aucune nouvelle du Premier ministre, Yacouba Isaac Zida. Jusqu’au soir, les conclusions des concertations se font attendre. Le chef d’état-major général des armées, Pingrénoma Zagré, appelle les populations à faire confiance aux Forces armées nationales. De plus en plus, l’espoir renaît au sein des populations. Surtout qu’autour de 19h, le président Yayi Boni a annoncé une rencontre prévue pour le 20 septembre pour annoncer « la bonne nouvelle ». Mais dès le lendemain, les Burkinabè seront désenchantés. Le jour- J, « La bonne nouvelle » annoncée par le président béninois tarde à venir. Dans la matinée, rassemblés devant l’hôtel Laïco, certains jeunes vont être violemment dispersés par des éléments du RSP. D’ailleurs, sur ces lieux, un affrontement entre pro- putschistes et anti-putschistes va être évité de justesse. Les négociations reprennent timidement après cet incident. Dans la soirée, le président sénégalais annonce un projet d’accord politique de sortie de crise qui sera soumis à la CEDEAO pour validation. Ce texte, en 13 points, prévoyait entre autres, la libération sans condition des personnalités détenues au cours des événements du 15 septembre ; la restauration de la Transition avec Michel Kafando comme président ; le retrait des militaires du gouvernement ; la reprise du processus électoral avec les élections au plus tard le 22 novembre ; les personnes inéligibles pourront prendre part aux élections et l’acceptation du pardon et de l’amnistie pour les conséquences liées à la présente crise. Toute chose qui a suscité colère et indignation au sein de la population qui a refusé toute amnistie.

14 morts…

Le 21 septembre 2015, l’on apprend que les garnisons de l’intérieur du pays font route sur Ouagadougou pour libérer le président Michel Kafando et le Premier ministre Zida et faire plier les éléments du RSP. L’affrontement est imminent et les Ouagalais craignent le pire. Dans une déclaration lue dans la soirée, Gilbert Diendéré annonce la libération du Premier ministre Zida et la remise du pouvoir aux autorités de la Transition. Pour la première fois, le général Pingrénoma Zagré lance un appel aux éléments du RSP et les somme de déposer les armes. Des pourparlers s’engagent entre les chefs de corps de l’armée et le CND pour éviter l’affrontement. Au petit matin du 22 septembre, un compromis semblait avoir été trouvé jusqu’à ce que les forces loyalistes dénoncent une manœuvre dilatoire du président du CND. C’est dans ce tohu-bohu que nous apprenons la libération du Premier ministre Zida. Le projet d’accord politique, quant à lui, est rejeté et des émissaires de la CEDEAO sont de nouveau attendus dans la capitale burkinabè pour assister à la reddition du général Diendéré et la remise du pouvoir au président Michel Kafando. Effectivement, dans la matinée du 23 septembre 2015, le président Michel Kafando fait une déclaration. « Mes chers compatriotes, dans le malheur nous avons lutté ensemble. Dans la liberté nous triomphons ensemble. A présent, libre de mes mouvements, je reprends du service et par là-même, je m’affirme en la légitimité nationale. La Transition est ainsi de retour et reprend, à la minute même, l’exercice du pouvoir d’Etat », avait-il déclaré. Vers 10h, c’est au tour des présidents du Niger, du Bénin, du Ghana et du vice-président du Nigeria de fouler le sol burkinabè pour réinstaller l’équipe de la Transition. Gilbert Diendéré, quant à lui, fait part de ses regrets et se dit prêt à assumer les conséquences de ses actes.

24 septembre 2015, les Burkinabè ont eu un jour de répit. C’est la fête de la Tabaski. Le jour qui a suivi, a été marqué par le premier Conseil des ministres d’après putsch, au Premier ministère. On a noté également, ce jour-là, la reprise des activités du CNT. Le Procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou, dans le même temps, annonce le gel des avoirs de certaines personnes physiques dont le général Gilbert Diendéré et des partis politiques de l’ex-majorité, soupçonnés d’être impliqués dans le coup d’Etat. Après cet épisode, l’actualité était maintenant tournée vers le désarmement des éléments du RSP après que sa dissolution a été prononcée par décret en Conseil des ministres. Reste maintenant à les désarmer effectivement. Peu à peu, l’armée régulière avançait vers le camp Naaba Koom II, bastion de l’ex-RSP. Certains éléments se rendent tandis que d’autres refusent de le faire. Le 28 septembre, les syndicats mettent fin à la grève illimitée entamée aux premières heures du putsch. Mais, du 25 au 29 septembre, c’est le processus du désarmement qui a le plus retenu l’attention des uns et des autres jusqu’à ce que le 29, le général Djibrill Bassolé soit mis aux arrêts pour son implication présumée dans le coup d’Etat. Par ailleurs, face au refus de coopérer des éléments irréductibles du RSP, l’armée décide de lancer l’assaut final sur le camp Naaba Koom II. Dans la foulée, le général Gilbert Diendéré trouve refuge à la Nonciature apostolique. Le 1er octobre 2015, il a été remis à la gendarmerie qui l’a gardé au camp Paspanga avant de le déférer à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA). C’était la fin du coup d’Etat qui a fait 14 morts et près de 300 blessés.

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